Rêve de pierre

M. Christophe CARRAUD
L'église dans la ville - n°91 Septembre - Octobre 1990 - Page n° 27

L'architecture a-t-elle les dimensions de l'Incarnation ? L'Eglise vivante se réunit en un lieu de célébration qu'elle construit par la mémoire d'une absence, non par un espace, non en recevant du monde la plénitude de ses dimensions. Le primat esthétique de l'architecture qui lui vient de la communauté de ses formes avec celles de notre propre vie est ruiné par la richesse de l'Incarnation qu'elle ne peut enclore. L'église accomplit l'architecture parce qu'elle l'ouvre au drame de l'Incarnation.  Le baroque est le modèle formel qui dénonce tout emprisonnement formel : le modèle de ce qui demeure à construire, forme décisive parce qu'elle refuse de l'être, architecture qui figure l'architecture finale, c'est-à-dire l'Eglise.   our l'Incarnation, l'architecture est peinture.

« ...et, mentionnant tel ou tel tableau, il fit remarquer à quel point la couleur y était donnée non comme une apparence, mais comme la nature même des corps ; car, dans cet univers enfin, l'aspect se confond avec l'être ; d'où le mystère, d'où la désillusion, d'où la fête qui, malgré tout, éteint son charnel incendie sur les eaux. Et il rappela (..) la Scuola di San Rocco à Venise, avec ses grandes ombres, avec ses drames, avec ce mouvement des corps aussi libre et violent que celui des idées. Ce qui (...) pouvait, en somme, définir l'art baroque : une vision, où c'est moins le verbe qui se fait chair que la chair qui finit par donner sa force, sa solidité, sa saveur, à tous les tourments de l'esprit. » J. Mercanton, Le soleil ni la mort

« Il est certain que la sombre et rude église romane, ou la resplendissante église du XVIP siècle, ne semblent pas créées pour le même culte. Dans cette unité si remarquable, de l'extérieur tout au moins, de la religion à travers tant de siècles, l'unité d'architecture n'existe pas — disons plus généralement, l'unité d'art n'existe pas. Pour la trouver, il faut quitter le catholicisme. » J. Guadet, Éléments et théorie de l'architecture

L'espace, même connu, est vaste. Nous risquons de nous y perdre. Si réduit que soit le nombre de ses dimensions, il offre trop de possibles pour que quelqu'une ne soit pas oubliée en chemin : pourquoi refuser d'aller voir plus loin ou un peu à gauche, ou un peu à droite... Et la recherche qui faisait quitter le lieu pour comprendre ses dimensions explore sans but le possible rêvé. Elle sait qu'elle ne le trouvera pas, parce que le monde clos n'a pas de frontières. La plénitude est infinie, indifférenciée : ce qui appelle est toujours au-delà, et l'avancée, se voulant connaissance, rend l'au-delà trop positif ; car c'est bien en lui que nous sommes, à chaque pas. Il faudrait construire sur la ligne d'horizon, et attendre : garder le réel et l'empêcher de fuir, comme le guetteur dans le mirador d'un camp. Le désir, seul, doit s'arrêter. Mais à quelles dimensions ?

L'architecture, un temps, enclôt l'espace et l'arrime au corps. Un rêve, essentiel la soutient : que le monde divin, ou du moins pressenti, puisse être aussi le nôtre (1), que l'espace cesse de s'ouvrir indéfiniment, de se peupler d'images, et soit mis en demeure de livrer son sens sans cesser d'être espace. Qu'il soit donc une habitation, où le lointain s'apaise. Les voûtes absorbent l'ailleurs et lui donnent le sens qu'il n'aurait pas dans le rêve indéfini. Quels autres édifices le feraient que l'église, elle qui n'a d'autre fonction que l'espace lui-même, — ou le corps tendu entre ce qu'il est et ce qu'il n'est pas, ou la mémoire de l'absence entre la présence impossédée et l'au-delà que l'Incarnation présente ?

Le nombre cependant fait se perdre dans l'infini d'une perfection abstraite. L'architecture trop souvent résout l'énigme du lointain en se construisant autour du vide qu'elle veut signifier et qu'elle accompagne de ses mesures. Elle le donne à contempler, en attendant que l'acte liturgique, pourtant lui-même en tout lieu, appelle à sa façon qui n'est pas constructible, mais à la fois impérieuse et inqualifiable, la présence vivante qui a franchi le seuil. [...]

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