Josef PIEPER
"Jésus, né du Père avant tous les siècles"
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n°9
Janvier - Février
1977 - Page n° 95
Historicité des miracles ?
Tout l'article est joint.
JE n'ai encore jamais été ni le témoin ni le bénéficiaire d'une guérison miraculeuse. Toujours est-il qu'un excellent médecin, un «chiropracteur », m'a un jour débarrassé en quelques minutes de douleurs très pénibles, que l'on croyait d'origine rhumatismale, et qui m'en avaient beaucoup fait voir depuis des années. Bien entendu, j'ai raconté plus d'une fois en petit comité comment cela s'était passé. Si l'on avait enregistré le récit au magnétoscope, le spectateur aurait pu voir et entendre un homme au visage tordu de douleur se frotter l'épaule et décrire ses (p.95) tourments de manière dramatique. Suit la litanie de tout ce qui n'a servi à rien. Amer et fiché, on s'étend sur les diagnostics erronés, les traitements .sans résultat, les médicaments coûteux mais inefficaces, puis sur la résignation finale. Puis celui qui raconte se lève, porte les mains à sa nuque et, comme au théâtre, mais en jouant les deux râles en même temps, mime toutes les manipulations par lesquelles le médecin a décrispé ses muscles : tout à coup la douleur est partie et, semble-t-il, pour ne plus jamais revenir. Je décris ma joie, mon étonnement surtout : c'est de la sorcellerie ! Les amis qui m'ont écouté me demandent avec étonnement le nom du « docteur miracle », et l'un d'eux prend son adresse.
Tout le monde considérera que raconter ainsi, ou à peu près, un tel événement, est la chose la plus naturelle qui soit; personne ne peut trouver rien de particulier, pense-t-on, à la construction du récit ou à son style.
Et pourtant, on rencontre l'opinion contraire, dans les manuels, orthodoxes ou indépendants, d'exégèse du Nouveau Testament Elle s'applique aux récits bibliques de guérisons miraculeuses. Ces récits dans les Evangiles, comme on peut s'y attendre, se déroulent et sont composés à peu près exactement comme l'histoire que je viens de raconter. Mais c'est justement ce qui les fait soupçonner. Ce n'est nullement le signe, dit-on, de la restitution fidèle de faits ou de paroles réels; cela prouverait au contraire que les narrateurs, et déjà ceux qui les premiers recueillirent les traditions sur Jésus, se seraient laissés influencer par un « schéma fixe aux particularités stylistiques bien définies», par des modèles littéraires et des stéréotypes formels que l'on peut trouver partout dans les récits antiques de pèlerinages, par exemple à Epidaure ou dans les histoires rabbiniques de miracles. On est prié de comprendre, on le voit tout de suite, et pas seulement dans ce cas-là, mais d'une manière générale, à quel point on se met dans une mauvaise passe si l'on soutient r« historicité» des Evangiles. Un des exégètes les plus cités actuellement va jusqu'à décrire ce « schéma fixe» d'après lequel les récits de guérison du Nouveau Testament auraient été confectionnés; et ce qui apparaît, c'est exactement la structure de l'histoire que j'ai racontée au début : intensité de la souffrance, échec des tentatives, intervention salutaire (longuement décrite), joie et étonnement finaux, louanges du thaumaturge par les témoins (dans le jargon, on dit «choeur final »).
Toute cette science ne dit bien sûr rien du tout contre l'historicité des récits bibliques. Car on pourrait aussi bien affirmer que mon «chiropracteur» n'a jamais existé; que le fait rapporté n'a jamais eu lieu, ou ne s'est pas passé ainsi, puisque, n'est-ce pas, le récit en est évidemment construit d'après un «schéma fixe » préexistant, d'après un modèle déjà connu depuis l'Antiquité.
Josef PIEPER (traduit de l'allemand par Rémi Blague)
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