Dialectique ou amour ? La compréhension philosophique de la création du monde en tant que kénose

Mgr. Peter HENRICI
Il s’est anéanti - n°242 Novembre - Décembre 2015 - Page n° 71

Le concept de kénose est ici envisagé au cœur de deux philosophies, celle de Hegel et de Blondel. Il est dans les deux cas une tentative de réponse au problème philosophique de la contingence de l’expérience sensible. Mais son traitement est cependant bien différent : Hegel fait de la Révélation une structure interne à la construction de la pensée et donc produite par elle, alors que Blondel insiste sur la facticité de l’amour qui n’est accessible à l’homme que par un don divin. 

 

Le concept de kénose, qui remonte à l’hymne aux Philippiens, désigne originellement le renoncement du fils de Dieu fait homme à ses prérogatives divines. Dans les temps modernes, il a été étendu, à partir de la théologie, à d’autres renoncements semblables. Mais ce n’est que tardivement que quelques philosophes reconnurent que même la création du monde était à comprendre comme une kénose de Dieu.

Tant que l’on considérait le monde de l’expérience comme simplement donné, son existence ne posait pas problème à la pensée. La mise en question socratique de ce qui semblait éthiquement aller de soi conduisit certes Platon à comprendre le monde de l’expérience comme un reflet un peu moins réel du monde vrai, situé au-delà du monde de l’expérience, le monde des idées. Pourtant, en dépit – ou peut-être à cause – de multiples mythes de la création, l’apparition du monde était encore comprise comme nécessaire. Même là où elle n’était plus considérée du point de vue du monde mais du point de vue de Dieu, comme dans le Néoplatonisme, elle ne pouvait être comprise que comme l’émanation nécessaire de l’essence de Dieu – émanation dont les nombreuses étapes intermédiaires dissimulaient, plutôt qu’elles n’éradiquaient, l’arrière-plan panthéiste d’une telle compréhension du monde, qui continue à se faire sentir jusque dans les temps modernes.

Seule la conception judéo-chrétienne d’un Dieu situé au-delà de ce monde, qui, d’une libre décision, appelle à l’existence par sa parole les êtres finis et les conserve, rendit pensable le concept d’une creatio ex nihilo, d’une création du monde à partir du néant1. La question du rapport entre le Dieu créateur et les êtres créés à partir du néant ne fut d’abord posée que du point de vue de ces derniers. Ils sont dans une relation à Dieu indispensable et fondatrice de leur être, qui leur donne d’exister et d’agir de façon autonome. Inversement, toute relation effective à ses créatures est refusée à Dieu, afin de ne pas mettre en danger son absoluité. On pourrait ici invoquer l’argument thomiste, selon lequel tout [...] 

 

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1 Il est significatif que le zéro, cet antinombre, ait précisément été introduit dans les mathématiques par la pensée de la théorie de la création de l’Islam.

 


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