Mme Irène FERNANDEZ
La religion des tranchées
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n°247
Septembre - Décembre
2016 - Page n° 165
J.R.R. Tolkien, tout juste marié, fut jeté dans l’horreur de la bataille de la Somme où il vit périr tous ses amis. En dépit des larmes et du sang, la découverte de la bravoure des simples soldats et sa foi en la Providence lui permirent de ne pas céder au désespoir.
En juin 1916, un jeune officier anglais, engagé volontaire, arrivait en France pour rejoindre le régiment auquel il avait été affecté. Il était catholique, ce qui était rare et incongru dans son pays et son milieu, venait de finir brillamment ses études à Oxford et de se marier. La séparation d’avec sa femme fut rude et « comme une mort », une anticipation de ce qu’il pouvait légitimement craindre, car en 1916 on ne savait déjà que trop que les jeunes officiers « mouraient comme des mouches ». Il fut incorporé deux jours à peine avant le déclenchement de la bataille de la Somme et se trouva ainsi « jeté » du jour au lendemain dans « l’horreur animale » d’un des plus grands carnages de la guerre de 14. Officier de transmissions, il devait rester sur le front pratiquement jusqu’à la fin de la bataille, puisque c’est au début du mois de novembre qu’il fut rapatrié, atteint et très affaibli par la fièvre des tranchées.
Le lieutenant Tolkien ne devait jamais oublier cette période de sa vie. Le pire n’y fut pas la crasse, les poux, la putréfaction ambiante, le danger incessant, mais la mort de tant et tant de ses camarades et de ses amis. Il ne se consola jamais vraiment de cette hécatombe et fut particulièrement affecté de la disparition de Rob Gilson, tué dès le 1er juillet, un des presque vingt mille morts du premier jour de l’offensive, et de G. B. Smith, mort quelques mois plus tard. Ces deux jeunes gens brillants formaient avec Tolkien et un autre camarade un petit club datant de leurs années de collège, où ils échangeaient leurs vues sur de grands projets littéraires, qui devaient donner sens à leur vie en « témoignant pour Dieu et la Vérité » (lettre du 12 août 1916).
C’est grâce à ce club que Tolkien, selon ses propres paroles dans cette même lettre, avait pris conscience de « l’espoir et des ambitions » qui devaient définir toute sa vie d’écrivain. Et c’est peut-être pour que leurs projets ne restent pas vains qu’il se mit à donner forme aux rêves et aux mythes qui l’habitaient depuis l’enfance. La première idée précise et les premiers textes de ce qui devait devenir une mythologie proliférante et former le contexte d’une des oeuvres les plus célèbres du siècle datent en effet « de la guerre de 1914-18 » (lettre de 1966), et plus précisément de 1916 : c’est « en survivant de la bataille de la Somme » qu’il écrivit, « à l’hôpital », la première des histoires de son Légendaire, The Fall of Gondolin, une histoire - on ne s’en étonnera pas - de courage, de défaite et de mort. [...]
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