Henri BATIFFOL
La fidélité
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n°4
Mars - Avril
1976 - Page n° 39
Quelles que soient les mœurs, la loi ne peut voir dans le mariage simple contrat ou affaire privée, mais le rattache à une loyauté supérieure.
La première page, 39, est jointe.
LE thème pourrait être abordé à bien des points de vue. Une enquête sur les faits serait une oeuvre de longue haleine qui n'a été que partiellement entreprise : proportion des unions hors mariage, leurs causes, leur stabilité relative, l'état de l'opinion à leur sujet... Les lignes qui suivent sont celles d'un juriste qui cherche à démêler pourquoi et comment la société civile s'intéresse au mariage, et en fait, ou tente d'en faire, une institution.
La question devient aiguë de nos jours, où l'instabilité manifestement croissante du lien matrimonial, la multiplication certaine des unions hors mariage, mettent en cause la signification de l'institution dans l'opinion. Ce développement est le signe d'une objection qui a existé de tout temps, mais a acquis aujourd'hui une force et une liberté d'expression nouvelles : l'union de l'homme et de la femme est affaire « privée », précisons affective, au mieux dans le sens de la profondeur, religieuse. La loi civile, avec son arsenal de prescriptions et de sanctions, est un élément hétérogène, dont on demande quel rôle bienfaisant ou même utile il peut jouer en la matière.
Le fait est cependant patent que l'ensemble des systèmes juridiques connus de nous ont comporté et comportent toujours des règles relatives au mariage, quelque différentes qu'elles soient, et ne consisteraient-elles qu'à donner effet civil au mariage religieux, ou même à une cérémonie privée, comme dans les pays d'Islam. Il serait surprenant qu'une pareille constance, quelques dérogations qu'on puisse lui découvrir, ne repose pas sur des raisons qui méritent d'être dégagées.
Comme en beaucoup de matières vivantes, c'est la privation d'un organe ou d'une fonction qui éclaire le plus sûrement sur leur rôle, leur nécessité ou leur utilité. La révolution soviétique en ses débuts a professé — fait notable, parce qu'encore près de nous — un désintérêt (p.39) avoué de la famille, et plus particulièrement du mariage : celui-ci pouvait être « enregistré » à l'état civil, mais les « mariages » non enregistrés devaient produire les mêmes effets ; et la volonté unilatérale d'un des époux mettait fin aux effets de l'enregistrement. Se limitant à offrir un mode de preuve, le système nouveau manifestait bien son indifférence à l'égard de l'union matrimoniale. Défiance de la famille comme agent de transmission de valeurs, donc d'une tradition, alors que le régime nouveau entendait instituer une société entièrement nouvelle et même un homme nouveau ? Dédain de la famille comme agent économique, effectivement bien affaibli, par une doctrine qui voit dans l'économique l'infrastructure c'est-à-dire l'essentiel ? Urgence, dans les circonstances, d'aviser précisément aux problèmes économiques d'abord ? Les raisons pouvaient jouer concurremment. Mais on n'ignore pas que la suite n'a pas permis de s'y tenir. Sans rechercher l'importance effective du vagabondage d'enfants plus ou moins abandonnés dans les premières années du régime, il faut constater que le facteur a été maintes fois relevé et a joué en faveur d'une politique législative plus favorable au mariage et à sa stabilité. La dénonciation unilatérale du mariage est de soi favorable à la partie économiquement plus forte, c'est-à-dire à l'abandon de la femme — avec ses enfants. Sans suivre ici l'évolution qui a été complexe, constatons que, d'après certains observateurs, on divorce moins aujourd'hui dans les pays socialistes — et par procédure judiciaire — que dans beaucoup des autres. En tous les cas les tribunaux soviétiques, et le Tribunal suprême en tête, consacrent une partie importante de leur temps aux affaires matrimoniales et aux divorces en particulier : avec les questions de logement et de relations de travail elles constituent la majeure partie des affaires civiles tout comme dans les pays occidentaux.
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