Hommage à Jean-Marie LUSTIGER 1926-2007

Monsieur Jean DUCHESNE
Poésie et Incarnation - n°192 Juillet - Aout 2007 - Page n° 1

Au moment où ce numéro de Communio était sous presse, le cardinal Jean-Marie Lustiger, archevêque émérite de Paris, a été rappelé à Dieu. Comme tant d'autres, nous ressentons sa perte et rendons grâce pour tout ce qu'il a apporté. Il a suivi le lancement de la revue et sa progression, en fidélité filiale envers Hans Urs von Balthasar et Henri de Lubac. Il y a collaboré. Jean Duchesne, cofondateur de l'édition francophone et proche du cardinal, lui rend ici un premier hommage, qui requiert d'être développé par un dossier dans une prochaine livraison.

 

Le cardinal Lustiger, qui est décédé le 5 août dernier, avait eu quatre-vingts ans le 17 septembre 2006. C’était un dimanche, et à cette occasion, son successeur l’avait invité à célébrer la messe de 18 heures 30 et à prêcher de nouveau à Notre-Dame, comme il l’avait fait régulièrement depuis qu’il était devenu archevêque de Paris. Il s’est trouvé que l’évangile du jour était celui (Marc 8, 27-35) où Jésus annonce pour la première fois sa Passion et rabroue avec une surprenante véhémence Pierre qui vient pourtant de reconnaître en lui le Messie, mais ne peut accepter que sa gloire passe par la Croix : « Passe derrière-moi, Satan, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! »

Sans doute y a-t-il là plus qu'un simple hasard. Et peut-être Jean-Marie Lustiger a-t-il été amené à dévoiler comme malgré lui, au moment où il commençait lucidement d'affronter la maladie qui devait l'emporter, un au moins des ressorts de toute sa vie. S'il étonnait toujours en épargnant à ses auditeurs la langue de bois (qu'elle soit médiatique ou cléricale), s'il a parfois pu paraître abrupt et s'il a bien plus souvent ouvert des horizons, c'est parce qu'il lui fut donné de s'évertuer à couler ses pensées dans celles de Dieu, et non dans celles des hommes, qui ne conçoivent pas d'eux-mêmes que le Fils de Dieu doive «beaucoup souffrir, être rejeté [...], être tué et, après trois jours, ressusciter» (Marc 8, 31), alors que c'est là le secret de toute l'histoire de l'humanité.

L'archevêque de Paris de 1981 à 2005 a incarné les paradoxes ou (mieux) les scandales, et en même temps l'intelligence et la puis-sance de ce que nous n'avons que trop tendance à considérer sim-plement comme la religiosité dont notre civilisation n'est plus très sûre d'avoir besoin.

Qu'il fût juif et ait maintenu qu'il ne pouvait pas ne plus l'être, cela n'a pu choquer que ceux qui s'imaginent que le christianisme n'a plus rien à voir avec le judaïsme.

Mais ce qui est vraisemblablement plus original est que la conscience de cette identité juive ait poussé l'ancien aumônier des étudiants de la Sorbonne à diagnostiquer comme fondamentalement spirituelle la crise de la culture occidentale : tentation de revenir à l'idolâtrie – chez les païens (exemplairement chez les nazis) en reje-tant le Dieu d'Israël et de Jésus-Christ, et chez les Juifs (Marx et Freud en tête) en niant leur élection.

Loin de déboucher sur une condamnation de la pensée contempo-raine, cette analyse était, pour le Père Lustiger, source de renouveau et d'espérance, l'athéisme n'ayant pu se développer que là où Dieu s'était révélé et la proclamation de la «mort de Dieu» n'ayant «tué» que les faux dieux du déisme métaphysique et des «valeurs» moralisatrices. Le champ est ainsi libre, prêchait-il, pour redécouvrir et approfondir le mystère du Messie promis, déjà venu et attendu, crucifié et ressuscité.

Cet intellectuel curieux de toutes les idées, qu'elles soient anciennes ou nouvelles, parce qu'invinciblement elles mènent à croiser le regard et le dessein de Dieu sur la condition humaine, fut aussi un homme d'action. S'il n'avait suivi sa vocation de prêtre de Jésus-Christ, inscrite dans le prénom reçu à sa naissance, Aron, il aurait pu être capitaine d'industrie ou homme politique de haut vol aussi bien qu'universitaire prestigieux. Ses initiatives et ses créations : le collège des Bernardins qui va bientôt ouvrir, en passant par l'incontestable réussite des JMJ de 1997, la chaîne de télévision catholique KTO et la construction d'églises «futuristes », sans parler d'une bonne ving-taine de livres et d'une présence efficace dans les médias sans en devenir tributaire, ou de l'intuition que le rapprochement avec le judaïsme doit se faire avec les milieux les plus «durs» et a priori les plus méfiants, mais les plus influents dans la communauté israélite internationale.

Cette énergie de rénovateur et de fondateur ne s'explique pas que par un caractère hyperactif de «patron», ni même par l'impérieux souci de témoigner de l'amour de Dieu et de mettre en place les moyens de la sanctification du plus grand nombre possible. Car le portrait resterait injustement inachevé sans deux traits apparemment contradictoires avec l'autorité déployée.

L'un est que, sans rien esquiver de la responsabilité des missions qui lui étaient confiées, il ne se vit jamais que comme le collaborateur de « maîtres » ou de frères aînés – les mieux connus étant le Père Maxime Charles à l'époque du Centre Richelieu et, pendant le dernier quart de siècle, le Pape Jean-Paul II.

L'autre aspect peut-être inattendu de la personnalité du cardinal Lustiger était l'intensité de sa prière. C'est une dimension de son existence sur laquelle il est resté d'une pudique réserve. Il suffisait pourtant de le voir célébrer d'un peu près pour deviner quelle force intime, puisée dans la contemplation du mystère tragique de l'Amour insulté, animait tout ce qu'il disait et faisait.


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