Sacrifice et privilège

M. Claude BRUAIRE
Les conseils évangéliques - n°36 Juillet - Aout 1981 - Page n° 29

Que l'existence chrétienne admette cette faveur, privilège ou grâce d'une consécration qui, pour quelques élus prédestinés ou appelés au sein du troupeau, lui ferait exception, conférerait un statut hors série dans la relation à Dieu, voilà qui semble contredire et contre­faire la nature même de la révélation en Jésus-Christ. 

La manifestation divine n'est-elle pas épiphanique, sans exclusive ni privilège ? Le christianisme n'a-t-il pas toujours son commencement et recommencement dans le refus d'une vérité captive, d'une révélation ésotérique, pour le petit nombre ? Le Christ n'est-il pas mort pour tous, n'est-il pas l'offrande universelle de l'amour divin ? 

Ces questions tendent à légitimer une double suspicion. Celle qui démasque une immense prétention dans l'invocation d'un privilège de vie consacrée. Celle aussi qui évoque une référence païenne, pré-chrétienne en tout cas, dans le sentiment et l'affirmation du « sacré » : mise à part du monde par possession divine qui convertit l'être en « chose de Dieu ». 

Il n'est pas douteux que le chrétien soit tenté de mimer ce qui n'est pas chrétien et s'avère un défi, une régression, au regard de la venue rédemp­trice de Dieu en personne. L'existence historique des chrétiens serait sainte si elle n'entretenait toujours ce qui n'est pas chrétien. Et elle ne se sanctifie que dans la purification sans trêve qu'est la conversion renou­velée au Dieu de l'Évangile. Prétention insensée d'un être possédé par un Dieu jaloux et arbitraire, telle serait, en effet, la « vie consacrée », chaque fois qu'elle s'affirme exempte de l'active et difficile conversion au Dieu épiphanique. 

Cependant, il est une manière d'énoncer en problème absurde, absurde en ses données mêmes, la vie consacrée. Car il n'est pas de discriminant objectif ni de définition applicable du dehors, dès lors qu'il s'agit de l’intimité spirituelle dans les relations personnelles. L'universalité du vrai Dieu est celle de l'Unique, de l'être singulier de la Personne, et point un énoncé vérifiable par un procédé convenu. Le droit absolu de Dieu est alors celui de sa proximité, chaque fois secrète, à l'intime de l'être spiri­tuel de chacun. C'est pourquoi la vie qui se sait ou se veut consacrée ne s'atteste que dans l'humilité de la grâce reconnue. Mais la consécration signifie alors l'abnégation du sacrifice qui seul imite le Christ et seul mesure, en régime de vie chrétienne, le privilège divin. Ainsi donc, la vie consacrée n'est pas une vie marginale par rapport à celle des chrétiens. Son caractère paradoxal reflète le paradoxe profond qui est au coeur de toute vocation chrétienne : « Soyez parfaits comme votre Père est parfait ». Anticipation de la réalité eschatologique, appel de conversion pour tous et chacun, la vie religieuse rayonne du centre même de la foi dont elle reçoit son sens et à qui elle donne la logique de son espérance. 


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