L’entrée du Christ à Bruxelles en 1889

James Ensor n’avait rien d’un pieux laïc. Il était volontiers provocateur, prêt à dénoncer les vanités d’une société qu’il n’appréciait guère. Mais son œuvre est aussi hantée par le Christ. En 1885, il dessine l’Entrée du Christ à Jérusalem, avec déjà la foule et les banderoles, mais aussi une éblouissante clarté dorée. Deux ans plus tard, il continue ses recherches dans cette voie, avec les Auréoles du Christ ou les sensibilités de la lumière. Puis, en 1888, il peint cette vaste composition montrant la « Joyeuse entrée » de Jésus à Bruxelles. Ce n’est plus la lumière qui est première mais le bariolage des couleurs. Bosch n’est pas si loin et, en un sens, Goya non plus. Les Importants en tous genres, les fausses gloires de toute nature sont là, bien visibles, formant un immense cortège dans lequel fourmillent les visages déformés, les personnages déguisés et les masques, selon un thème cher à Ensor. Les fausses apparences laissent pourtant transparaître une angoissante réalité, celle de la tête de mort et du squelette. Une banderole domine la scène «Vive la Sociale », tandis qu’éclate le tintamarre des fanfares doctrinaires dont la bannière porte « toujours réussi ».

«Vive Jésus, roi de Bruxelles » lit-on sur une pancarte.

Traversant cette foule qui, pour le moment, l’acclame, le Christ monté sur un âne fait éclater, par son humilité, la vanité d’un monde mort ou factice qui s’apprête à le tuer. Il va vers sa Passion. Il a son vrai visage nimbé d’une auréole. Lui seul est la Vérité. Il va mourir pour la rédemption de l’humanité.

Mettre en couverture d’un numéro de l’édition francophone de Communio sur l’Église et l’Europe unie l’entrée du Christ à Bruxelles est pourtant davantage qu’une boutade ou une provocation. Le génie d’Ensor a capté ce que l’Église a à apporter à l’Europe qui se cherche : une personne, une présence dans l’histoire, qui attire tout en étant incomprise ou rejetée, l’Incarnation et l’événement pascal ici tout proche, l’humanité assumée dans la divinité comme le refus d’une royauté selon les critères de ce monde et la séparation libératrice du temporel et du spirituel.