La lumière du mystère ou la voix intérieure d’Eugène Green

Le récent film d’Eugène Green, La religieuse portugaise, en multipliant les éléments de décalage et de distance, veut faire percevoir l’approfondissement contemplatif de la réalité. Le réalisateur assigne au cinématographe, à la suite de Robert Bresson et plus explicitement que lui, la tâche de capter « la lumière du mystère » des êtres et du monde créé, renvoyant, comme les icônes, par une « présence réelle », au Verbe incarné.

Depuis presque dix ans, le réalisateur franco-américain Eugène Green, qui est également musicologue, metteur en scène de théâtre et théoricien du cinématographe, nous propose, par des oeuvres subtiles dans leur simplicité apparente, comme un chemin vers un mystère très sciemment approché. Dans son dernier film, La religieuse portugaise, étonnamment apprécié par la critique, même peu spiritualiste, Green se livre au jeu de l’approfondissement de la réalité par une série de mises en abyme. Cette démarche sophistiquée pourrait apparaître artifi cielle, mais son art lui permet de la transformer en un langage accessible et beau. 

À tous les niveaux du film, la réalité se dédouble, se transforme, se transfigure. Il s’agit toujours d’autre chose que ce que nous discernons à première vue. C’est tangible dès le titre : La religieuse portugaise pourrait, devrait même être, normalement, l’adaptation au cinéma des Lettres portugaises, le célèbre roman du XVII^e siècle. Le film commence par là : c’est du moins ce qui est annoncé lorsque la jeune actrice qui porte le nom malicieusement janséniste de Julie de Hauranne, interprétée par Leonor Baldaque, arrive dans un hôtel de Lisbonne pour commencer le tournage le lendemain. Certes, nous assistons à la répétition de quelques scènes censées figurer dans cette adaptation, mais c’est pour mieux entrer dans le schéma « du fi lm dans le film », dont le meilleur exemple demeure La nuit américaine (1972) où François Truffaut jouait le rôle du réalisateur, comme Eugène Green le fait ici également. Premier décalage. [...]