Quitter le monde

Trois figures, le moine, la mort, l'autre monde, nous disent tout le prix qu'il faut verser pour « quitter le monde » : donner sa vie, perdre la vie, tout créer à nouveaux frais. Et si aucune de ces trois figures ne fait totalement ce qu'elle dit, c'est parce que « quitter le monde » implique quelque chose de plus subtil que d'y être ou de ne pas y être.

Il paraît que les garçons naissent dans les choux, et les filles dans les roses. En tous les cas, fille ou garçon, quand l’homme voit le jour, il vient au monde. Alors quelle drôle d’idée que de vouloir le quitter ? D’autant que l’homme n’est pas dans le monde à la manière d’un spectateur devant un écran de cinéma qui, s’apercevant que le film est un navet, déciderait de quitter (ostensiblement) la salle avant la fin de la projection. On n’est pas quitte du monde à si peu de frais ! Trois figures, le moine, la mort, l’autre monde, nous disent tout le prix qu’il faut verser pour « quitter le monde » : donner sa vie, perdre la vie, tout créer à nouveaux frais. Et encore, en les passant en revue, j’aimerais montrer qu’aucune de ces trois figures ne fait ce qu’elle dit. Non pas qu’elles se paieraient de mots – mais parce qu’en parlant de « quitter le monde », elles disent quelque chose de plus subtil que d’y être ou de ne pas y être.

Le moine

« Quitter le monde » est une expression classique pour désigner la démarche du moine : aussi l’a-t-on appelé dès son apparition au IVe siècle du nom d’« anachorète », celui qui recule au-delà des limites des zones habitées, dans le désert. Évidemment, le déplacement n’est pas que spatial. Décrivons-le selon les deux faces de la vie monastique, la « pratique » et la « théorétique ». La « pratique », dans le jargon, c’est toute la partie ascétique de la vie du moine : ce sont les mesures « pratiques » qu’il prend pour  devenir ce que signifie son nom, un homme « seul » avec Dieu seul. [...]