Une joie qui n'est pas finie

André FROSSARD
L'éducation chrétienne - n°24 Juillet - Aout 1979 - Page n° 69

RIEN n'est plus facile que de se tromper sur Maurice Clavel. Il s'y est trompé lui-même plusieurs fois. En 1940, par exemple, il s'est cru pétai­niste (il a souvent confessé loyalement cette méprise), alors qu'il était gaulliste, les vertus qu'il accordait au maréchal revenant au général et Vichy n'étant qu'une erreur d'adresse. Après la guerre et quelques escapades idéolo­giques, il s'est cru communiste et, si mes souvenirs sont exacts, il adhéra même au parti plusieurs jours de suite. Trois, me semble-t-il. L'erreur, chez lui, ne pouvait pas durer. Il s'est imaginé beaucoup plus longtemps qu'il était athée, ou agnostique. A vrai dire il l'a cru jusqu'au jour où il s'est rendu compte qu'il était chrétien. L'avait-il toujours été sans le savoir ? Je le suppose à divers (p.69) indices dont son incapacité absolue à résister au vrai n'était pas le moins pro­bant. On a beaucoup parlé de sa conversion, que l'on a voulue « foudroyante » par souci décoratif, pour mieux accorder l'épisode à l'idée que l'on se faisait de son personnage. En réalité, son retour à la foi a été lent, douloureux, dépour­vu de sensations agréables et spectaculaires, plus proche du travail de l'accou­chement que des émotions du coup de foudre. La lumière lui est venue au bout d'un interminable tunnel, au fin fond d'une effrayante dépression où, disait-il, incapable de comprendre ce qui lui arrivait, « il soignait Dieu avec des tranquil­lisants ». On pourrait dire — autre image — qu'il a failli se noyer dans la rivière de ses songes et qu'il s'est aperçu, en refaisant miraculeusement surface, que cette rivière était le Jourdain. Sa conversion a ressemblé à un baptême par immersion totale — et prolongée jusqu'à la suffocation. Ce genre de débat l'on se débat convenait aussi bien et peut être encore mieux à son tempéra­ment qu'une rencontre inopinée.

Cet événement considérable et qui est à l'origine de ses plus beaux livres, dont l'influence sur nombre d'intellectuels est évidente aujourd'hui, se situé aux alentours de 1965 (ah, la piètre mémoire que j'ai !1. A l'époque, nous nous voyions plus souvent que sous la IVe République, de Gaulle nous ayant rappro­chés. Il y eut cependant un assez long intervalle dans nos relations, dû à la dépression que j'ai dite. Quand il revint me voir à sa sortie du tunnel, ou de la rivière — en fait, de l'hôpital —, il avait changé. Oh, c'était toujours le même Clavel généreux et fertile en discours, mais il y avait en lui quelque chose de grave, d'humble et de fragile comme une petite lumière que l'on protège avec la main contre le vent, et qui était sa joie. Une joie toute nouvelle, surprenante, à laquelle il me donnait l'impression d'à peine oser croire. La suite est connue. La fin aussi, qui n'est qu'un commencement pour lui, et pour son œuvre.



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