Se souvenir de Dieu selon Saint Augustin

Cet article étudie la reprise et les transformations qu’Augustin fait subir à l’idée platonicienne de la réminiscence, et la manière dont il construit, à partir de la pensée de Platon, sa propre définition du rôle de la mémoire dans la recherche du bonheur. Est montrée l’importance de l’idée d’une mémoire du présent, et comment, avec une réflexion essentielle sur l’oubli, Augustin parvient à penser l’accès à Dieu sur le mode du souvenir.

Se souvenir de Dieu selon saint Augustin

Comment chercher ce que l’on ne connaît pas ? Ce paradoxe classique de la philosophie grecque est à l’origine de la théorie platonicienne de la réminiscence. Cette théorie est exposée dans le Ménon, le Phédon et le Phèdre et prend, dans sa forme la plus marquante, une expression mythologique. Selon le mythe de la réminiscence, l’âme, immortelle, a déjà tout contemplé et tout appris, avant sa descente dans un corps. De cette croyance religieuse, Socrate tire dans le Ménon une conclusion philosophique essentielle : « La recherche et le savoir ne sont que réminiscence. » Savoir consiste à trouver en soi-même la science, c’est-à-dire à s’en souvenir, comme le prouve le cas du jeune esclave qui peut répondre à des questions de géométrie, sans avoir jamais étudié à l’école. Il se souvient donc de ce que son âme a contemplé avant sa naissance. Cette théorie joue un rôle très important dans les réflexions d’Augustin sur la science en général, et plus précisément sur la mémoire. Malgré une prise de distance progressive avec la dimension mythique et religieuse de la théorie platonicienne, il a toujours maintenu que la mémoire joue un rôle déterminant dans l’accès à la vérité, c’est-à-dire au bonheur. Mais pour cela, et de façon paradoxale, il faut partir d’un oubli fondateur, l’oubli de soi : pour pouvoir se souvenir de soi en vérité, il faut d’abord se souvenir de Dieu. C’est la mémoire de Dieu (memoria Dei) qui rend possible la mémoire de soi (memoria sui), c’est-à-dire la saisie de soi-même dans la vérité de son être : car se souvenir de ce que l’on est, c’est comprendre que nous sommes fondamentalement image de Dieu (imago Dei). Bien sûr, on ne se souvient jamais parfaitement de Dieu, au sens où on en aurait la représentation en mémoire : de même, l’imago Dei n’en est pas la représentation. Nous voulons donc voir ici comment Augustin s’est emparé de la théorie platonicienne de la réminiscence pour en faire, sous la forme de la memoria Dei, un point central de sa propre pensée...

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