Les conversions de Charles Péguy

S’il est habituel d’inscrire Péguy dans la liste des convertis fameux, aux côtés de Claudel, Huysmans ou Maritain, lui-même n’a cependant jamais voulu parler de « conversion¹ » au catholicisme, et encore moins de « rebroussement », mais seulement d’« un approfondissement constant de notre cœur dans la même voie ² ». Enfant, il a reçu les premiers sacrements et fait son catéchisme à la paroisse Saint-Aignan (d’Orléans), mais à vingt ans il abandonne l’Église au moment de l’affaire Dreyfus et s’engage dans un socialisme ardent. Il parle alors, et pour la seule fois de sa vie, de « conversion » : « Pour moi, écrit-il à l’un de ses amis, cette conversion demeure le plus grand événement de ma vie morale ³ ». Puis il s’éloigne du socialisme institutionnel pour revenir vers 35 ans à la foi chrétienne. « Je ne t’ai pas tout dit », confie-t-il alors à son ami Joseph Lotte, qui lui rend visite en septembre 1908. « J’ai retrouvé ma foi... je suis catholique ». Mais retrouver ne signifie pas pour lui revenir en arrière. Il ne regrette rien. « Nous avons constamment suivi la même voie droite et c’est cette même voie droite qui nous a conduits où nous sommes. [...] Nous ne renierons jamais un atome de notre passé. » Comme si sa route s’était écartée un moment de la « voie de chrétienté » mais avait continué de procéder parallèlement à elle, par un « approfondissement » qui devait la reconduire à elle. « Nous avons pu être avant la lettre. Nous n’avons jamais été contre l’esprit ⁴ » : nous avons pu ne pas adhérer à la lettre du christianisme, nous n’avons pour autant jamais été contre son esprit. Faut-il alors parler oui ou non de « conversion » au christianisme ?....

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 1 Charles PÉGUY, Un nouveau théologien, M. Fernand Laudet (Cahier no 2 de la 13e série, 24 septembre 1911), in Œuvres en prose complètes, t. III (= OPC III), Paris, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1992, p. 548.

 2 Ibid., p. 549.

 3 Lettre à Théo Woehrel, 7 août 1895, cité dans Feuillets de l’Amitié Charles Péguy, no 56, janvier 1957, dans Géraldi Leroy, « L’Arménie dans l’œuvre de Charles Péguy », Revue d’histoire de la Shoah, 2003/1-2 (no 177-178), p. 356 ; cf. https ://www.cairn.info/revue-revued-histoire-de-la-shoah1-2003-1-page 356.htm#no637. 

  4 Charles PÉGUY, Un  nouveau théologien...op. cit., p. 549-550.