Que ma joie demeure

Ce matin-là, sur le bord de la mer des Roseaux, c’était l’ambiance du Grand Jour. On était passé à un fer de lance de la grosse catastrophe, mais le Seigneur avait flanqué une raclée à Pharaon et toutes ses armées, une rouste à envoyer Osiris et toute sa clique aux quatre vents. Alors, Myriam prit son tambourin. Il y avait de la joie.

Trois jours plus tard, ce n’était plus la même chanson. Trois jours à traîner ses sandales sur une terre aride, pour atteindre une source amère comme une vieille aubergine, fripée et desséchée... On en venait déjà à regretter le bon vieux temps de l’esclavage. Et encore, on ne savait pas qu’on en avait pour quarante ans ! Comme on le chanterait quelques millénaires plus tard, long is the road, deep is my pain.

Si l’on veut bien voir dans la traversée de la mer une figure du baptême et dans le baptême l’accomplissement et l’origine de toute conversion, l’affaire semble entendue. Il y aurait un temps pour tout : un temps pour se convertir, joyeux à danser en chœur ; un temps pour persévérer, long comme un jour sans pain. Et ce n’est sans doute pas pour rien que dans la liste des chrétiens hautement suspects, on trouve en bonne place le converti à la triste figure et l’éternel ravi de la crèche.

Qu’as-tu fait de ta joie ?

Pourtant, le récit de l’Exode laisse entendre une autre musique. La marche au désert est un temps d’épreuve. Le peuple doit décider s’il veut rester libre, c’est-à-dire fidèle au Dieu qui l’a fait sortir du pays d’Égypte. La traversée de la mer à pied sec n’est pas un épisode parmi d’autres dans l’histoire d’Israël. La libération pascale est un acte fondateur, face auquel le peuple doit prendre position. Par fidélité au Seigneur, il ne doit pas laisser sa joie sur le rivage des Roseaux, mais l’emporter dans la terre de la faim et de la soif, au pays des serpents et des scorpions....

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