La colonne et le fondement de la vérité de P. Florensky

Père Louis BOUYER
Mourir - n°2 Novembre - Décembre 1975 - Page n° 95

Théologie et spiritualité chrétiennes, dans leurs problèmes les plus fondamentaux, font l'objet de cet ouvrage.

Tout le texte est joint.

UN livre absolument extraordinaire, difficile, souvent contestable, mais d'une richesse inépuisable par endroits (nombreux) d'une exceptionnelle beauté, mais toujours inspirateur, provocant même ! [[Traduit du russe par Constantin ANDRONIKOF, Lausanne (L'Age d'homme), 1975, 504 pages.]]. On le croirait écrit d'hier, après une étude attentive du logical positivism et des différentes formes d'analyse linguistique.

 Et on a la stupéfaction de voir que son texte original vit le jour en 1914!

Théologie et spiritualité chrétiennes, dans leurs problèmes les plus fondamentaux, en font l'objet, mais l'auteur qui, évidemment, a fréquenté longuement aussi bien les Pères de l'Eglise que les formes les plus diverses de la philosophie idéaliste allemande, est pourtant un esprit d'abord foncièrement scientifique, qui a le premier, semble-t-il, poussé les possibilités des recherches de l'Ecole de Vienne bien au delà de ce qu'un Carnap lui même pouvait prévoir, sur l'analyse et la structure de la pensée empirique et rationnelle. Cependant, c'est par dessus tout un artiste (et parfois un esthète, un hyperromantique de la lignée de Blok et de Biely), un poète d'une indéniable puissance visionnaire en même temps que d'une sensibilité frémissante, raffinée...

 

Ajoutons que devenu prêtre orthodoxe peu avant d'écrire ce livre, qui le rendit célèbre en Russie du jour au lendemain, il devait, pour l'importance de ses recherches en physique et mathématiques, et en dépit d'une fidélité à sa foi et son sacerdoce qui l'enverrait au bagne de Solovki, n'y être « liquidé » que vers la fin de la dernière guerre. On ne peut mieux le décrire qu'en le présentant comme un super Teilhard de l'orthodoxie russe, mais un Teilhard dont les connaissances philosophiques et théologiques auraient été d'aplomb avec sa science, et qui eût eu de surcroît une exceptionnelle culture littéraire et artistique, et certainement des dons de très grand poète.

 

Si le théologien veut un test de la maîtrise de Florensky en son domaine, il n 1 a qu'à lire le chapitre VI, sur le Paraclet. Il pourra aussitôt y apprécier l'étendue et la suprême exactitude de sa connaissance de la tradition tout entière avec l'acuité sereine de son jugement critique. On dépasse ici complètement les oppositions classiques, trop faciles, entre Orient et Occident, pour être amené au coeur des problèmes soulevés par toute théologie de l'Esprit Saint, et encore non seulement irrésolus mais à peine débroussaillés.

 

Cependant, le cœur du livre, bien évidemment, est dans son traitement (chapitre XI) de la « Sophia » : la Sainte Sagesse de Dieu, c'est à dire son Dessein éternel sur la création, et l'homme en particulier, inclus de toute éternité dans la pensée par laquelle Dieu se pense lui même en son Verbe, mais venant à se réaliser progressivement dans la Vierge Marie, dans la propre humanité individuelle du Sauveur, puis, après la résurrection, dans la constitution de son corps mystique : l'Eglise et tout le Cosmos racheté, à partir de l'eucharistie... Cette admirable perspective unifiante, sur la vie divine et sa communication, est saisie et proposée comme le problème théologique par excellence, à partir du mystère de la vie trinitaire et de son ouverture à la création. D'un bout à l'autre du livre, l'aspect spéculatif, ou plutôt contemplatif, n'est jamais séparé de l'aspect éthique et ascétique, et la méditation ne cesse pas de se poursuivre en dialogue avec le lecteur, comme une exhortation passionnée, qui fait penser au ton des homélies macariennes, à dépasser la simple pensée dans une expérience de prière adorante et de vie totale dans la foi. Ceux qui ont lu, dans La Gloire et la Croix, l'admirable chapitre consacré à Soloviev par Hans Urs von Balthasar trouveront ici un exemple peut être encore plus séduisant et entraînant de cette pensée orthodoxe récente, mais tout imprégnée de la plus grande tradition, théologique, ascétique, liturgique, qui peut être pour notre sécheresse de pensée et notre épuisement intérieur la cure la meilleure, à la seule condition que nous acceptions de dépasser les limites de notre provincialisme intellectuel et spirituel. Ajoutons à cela que Constantin Andronikof, qui s'était fait connaître déjà par une traduction d'une exactitude scrupuleuse de l'œuvre de Boulgakof, a depuis lors réalisé encore un très grand progrès. Sans rien perdre de sa fidélité au texte il a su conquérir cette libre aisance qui permet de recréer, dans un tout autre langage, un écho transparent de sa plus singulière beauté.

 Louis BOUYER


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