Pierre TEILHARD DE CHARDIN
La création
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n°3
Janvier - Février
1976 - Page n° 49
Lettre inédite à Gérard SOULAGES
La lettre du P. Teilhard de Chardin publiée ci dessous est née d'une inquiétude : depuis longtemps, je souhaitais un rajeunissement de la théologie par un retour aux sources de la foi, retour qui certes, ne s'opposerait pas aux développements historiques du dogme, mais les situerait et les éclairerait par l'essentiel. En 1950, au coeur de l'été, l'encyclique Humani Generis devait jeter un trouble grave dans mon âme. Je demandai aide au P. Teilhard de Chardin. Voici sa réponse.
On remarquera le Post scriptum. Il a son importance. Le P. Gemelli avait attaqué le P. Teilhard de Chardin, méconnaissant son intention profonde. J'écrivis au P. Gemelli Dans cette lettre, j'affirmais que le Christ de Teilhard n'était en aucune manière le Christ de Loisy, mais celui de la foi catholique la plus authentique, le Christ de saint Augustin, de Pascal, de Newman, celui de François d'Assise et de Jean de la Croix, celui des saints et des pécheurs. Ce qui avait induit en erreur le célèbre Franciscain, ce sont les dimensions que Teilhard donnait au Christ, lorsqu'il le situait dans un univers en continuelle gestation, ordonné ? une humanité qui, par un effort laborieux, trouvait peu ? peu, pensait il, son visage et sa vraie finalité. La Cosmogénèse et l'anthropogénèse renouvelaient la christologie. Mais je maintenais avec fermeté que la vie christique s'enracinait, pour Teilhard, en Jésus de Nazareth, que par la foi nous savons être Jésus Christ. A la lecture de ma lettre au P. Gemelli je revois Teilhard éclater de joie, courir au bureau de son supérieur, le P. d'Ouince, et lui dire : « Voyez ce que Soulages a écrit ». Il s'était senti compris. _ _ Je sais les réticences causées par la publication des écrits du P. Teilhard. Son oeuvre est immense, et les textes extrêmement divers. Il est certain que le Père n'aurait pas tout publié, qu'il aurait accepté volontiers, comme pour Le Milieu divin, des observations et des mises au point. Son langage prête parfois ? confusion. Il faut aller plus loin. Plusieurs fois, il s'est défendu contre des admirateurs qui voyaient en lui une sorte de prophète des temps nouveaux. Malgré son génie, il était limité limité par sa spécialité et sa vision de l'univers, par son a venture spirituelle et son isolement. J'accepte même qu'il n'ait pas mesuré la gravité des conséquences du péché originel et qu'il n'ait pas assez souligné (sauf en plusieurs écrits) que le Salut chrétien passe par l'anéantissement de la Croix. Ce serait pourtant une erreur de refuser ? Teilhard toute compétence en théologie ; il ne faut pas oublier qu'? Hastings, il avait été choisi plusieurs années de suite comme (p.49) defensor pour les argumentations solennelles de théologie. En fait, Teilhard, comme beaucoup d'autres, doit être resitué dans la foi globale de l'Église, que certes, il nous aide ? mieux comprendre ; mais c est cette Foi , ? laquelle il tenait plus qu'? aucune de ses explications personnelles, qui le complète, l'éclaire, le juge, le rectifie. _ Ce qui est vrai pour Teilhard l'est aussi, dans une certaine mesure, pour saint Augustin, pour Pascal, pour Newman. Même saint Thomas d'Aquin doit être resitué dans la foi de l'Église qui, de toutes parts, le déborde ; celui' qui l'en séparerait pourrait construire, certes, une cathédrale de la pensée, un système peut être cohérent, mais il se fermerait au Royaume des Cieux et il aurait trahi saint Thomas... Ce n'est pas le vrai Teilhard qui est nocif, mais un certain teilhardisme qui le simplifie et le fausse, qui ne voit pas assez en lui le fils de saint Ignace, ni celui qui plusieurs fois a obéi jusqu'? l'angoisse, et l'angoisse de la Croix. Il ne faut pas systématiser (contre son gré) la pensée de Teilhard, mais l'éclairer par le secret de sa vie, par son obéissance et sa fidélité. J'ai toujours soutenu que Teilhard de Chardin et Jean de la Croix ne s'opposaient pas, mais s'appelaient. Lui même en a eu conscience, et c'est ce qu'a montré récemment encore une thèse de la Faculté de Théologie de Lyon. _ G. S.
Paris 28 sept. 50
Pierre TEILHARD de CHARDIN
Cher ami,
Merci pour votre longue lettre du 19. Il faudrait une conversation pour y répondre. Voici seulement qqs. [[Cette abréviation (qqs. pour « quelques ») reproduit fidèlement le manuscrit original. Il en va de même pour les majuscules, l'orthographe et la ponctuation ci dessous. Les corrections portées à la main par le P. Teilhard sur la lettre typographiée sont mentionnées en note. Les mots soulignés sont ici en italique.]] réflexions en attendant.
Evidemment, l'Encyclique gênera momentanément beaucoup d'âmes (et surtout d'intellectuels) de bonne volonté. Autant que je puisse voir, la raison n'en est pas dans sa tendance de fond (éviter que le dogme s'évapore en symbolisme, excellent !) mais dans le fâcheux entêtement des « théologiens » à se maintenir dans un Univers depuis longtemps dépassé. lis parlent encore en termes de « Cosmos » (Univers mosaïque, à pièces insérables ou interchangeables [[interchangeables : addition manuscrite.]], transposables arbitrairement), alors que tout le mouvement de la pensée humaine depuis quatre siècles nous situe désormais en « Cosmogénèse » (Univers organique où tout élément et tout événement ne peut apparaître que par naissance, cad. en liaison avec le développement de l'Ensemble). Ils ne voient pas que, en un sens, la pensée change (dans sons sens), (p.50)
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