Pierre EYT
Appartenir à l'Eglise
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n°5
Mai - Juin
1976 - Page n° 50
Les deux premières pages, 50 et 51, sont jointes.
Appartenir à l'Église... La formule va choquer. Ne laisse-t-elle pas entendre un lien de dépendance, de sujétion, voire d'aliénation ? Ne signifie-t-elle pas qu'on renoncerait à son autonomie et qu'on abandonnerait sa liberté et sa capacité personnelle d'initiative pour s'en remettre à une institution qui justifierait par là sa mainmise sur les individus et sa quasi-propriété des hommes qui auraient la faiblesse, par goût ou par contrainte, d'en appeler à elle ?
De fait, ainsi comprise, la formule choque. Tout le mouvement de la modernité semble légitimer qu'on doive refuser ce qu'implique cette expression pourtant traditionnelle. Il n'est pour s'en convaincre que de se livrer à une rapide enquête du côté des sciences humaines de la religion.
Les sciences humaines et la théologie
Pour de nombreux sociologues de la religion et de l'institution religieuse, la tendance générale qui marque, avec de plus en plus de netteté, l'évolution de la religion en général, et de la religion chrétienne en particulier, l'entraîne désormais vers des formes invisibles et « désinstitutionnalisées ». Le mouvement de sécularisation des institutions, des symboles et des consciences renvoie le religieux dans la sphère intime des sentiments et de l'intériorité. Ainsi se développe une large tendance à mesurer l'objectif par le subjectif, l'extérieur par l'intérieur, le transcendant par l'immanent, l'institutionnel par l'événementiel, ce qui advient de nouveau par ce qui est déjà expérimenté et perçu... Comment pourrait-on, dès lors, dans un tel contexte, comprendre le sens profond et dynamique d'une institution ou d'un donné extérieur qui, pour une part tout au moins, peut s'imposer à l'individu et à son histoire spécifique ?
Certes la subjectivisation de la foi et, en corollaire, de l'appartenance à l'Église n'empêche pas toute forme de regroupement. Il est cependant essentiel de voir comment se caractérisent aujourd'hui les regroupements religieux. On a maintes fois noté que les sociétés industrielles contemporaines sont marquées par une multitude d'institutions et de formes de regroupements qui se rattachent aux besoins économiques, sociaux, politiques, culturels, sanitaires et qui se définissent par les fonctions qu'elles remplissent à l'égard de ces besoins. Par ailleurs, au (p.50)pôle inverse de ces regroupements « adaptés », obligatoires et fonctionnels, tendent à naître et à se développer d'autres types de regroupements dans lesquels les relations spontanées, gratuites et électives, la liberté, la subjectivité et l'affectivité jouent le rôle principal. A la différence des regroupements fonctionnels dans lesquels règnent une perspective rationnelle, hiérarchique et technicienne, les regroupements dits « électifs » se nourrissent du « vécu », de la recherche, de la fantaisie, de l'égalité, de l'imagination, de la priorité donnée à la qualité sur la quantité, etc. Il semble que de nombreux motifs poussent aujourd'hui des chrétiens à assimiler le regroupement ecclésial à ce mode électif de « socialité » dans lequel s'exprime le désir d'une Église qui serait de plus en plus marquée par l'imagination, la spontanéité, l'invention, les procédures démocratiques, voire le droit à l'erreur...
La théologie, elle-même, depuis que le Concile a mis l'accent sur l'Église-peuple de Dieu, ne nous pousse-t-elle pas à aller dans le même sens ? Au plan où nous nous plaçons pour le moment, il ne s'agit pas en priorité de nous demander ce qu'ont voulu dire les Pères de Vatican II, mais de saisir au plus près ce qui a été retenu par l'opinion, promu parla pastorale « ordinaire » et finalement perçu par la plus grande masse des catholiques. Dans la perspective de l'aggiornamento, la question de l'appartenance à l'Église ne peut pas être éclairée parle seul examen des textes (par exemple Lumen Gentium n° 14). Concernant notre problème, la dynamique conciliaire, bien plus large que la conscience et les productions finales de l'Assemblée, a mis l'accent principal sur l'effacement des frontières et la réduction des distances. Ce qui signifie que là où l'on était jusqu'alors porté à souligner des disparités et des différences, on est désormais conduit à souligner des proximités, des ressemblances, sinon même une fondamentale identité.
Une certaine théologie accompagne cette conscience diffuse et lui fournit des justifications : lorsque, par exemple, on retient surtout du Concile la représentation de l'Église en termes quasi-exclusifs de peuple de Dieu », ou encore lorsqu'on souligne unilatéralement la relativisation du ministère et de la situation des prêtres par rapport aux laïcs, des catholiques par rapport aux non-catholiques, des chrétiens par rapport aux non-chrétiens, etc. Il est clair que même si l'on maintient des distinctions ou qu'on les exprime dans des termes identiques à ceux du passé, les différenciations ecclésiales ne sont plus désormais présentées qu'à partir d'une préalable et radicale attestation de l'égalité des membres du « peuple de Dieu », — peuple dont on voit mal d'ailleurs comment les frontières ne rejoindraient pas celles de l'humanité tout entière.
Plusieurs analystes — chrétiens ou non — notent l'évolution : que l'on puisse parler (encore) de christianisme diffus et multiforme dans les consciences n'implique peut-être déjà plus que l'on puisse parler, dans toutes les situations et dans le même sens, d'une conscience homogène d'appartenance à l'Église. (p.51)
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