Pour une histoire (sainte) de l'Eglise

Père Jean-Robert ARMOGATHE
L'Eglise : une histoire - n°26 Novembre - Décembre 1979 - Page n° 2

éditorial

 L'expression histoire de l'Église fait difficulté: ...
  L'Église est sainte et elle a une histoire.Elle change, mais reste toujours proche de son Seigneur, immédiatement présent dans l'eucharistie.
La première page, 2, est jointe.

L'EXPRESSION histoire de l'Eglise fait difficulté : on peut écrire l'histoire d'un homme, d'un peuple, d'une institution. Mais l'Eglise est-elle réductible à un homme, un peuple, une institu­tion ? Ainsi, il est bien difficile de lui fixer un commencement : faut-il, avec le Visionnaire d'Hermas, la discerner dès la création du monde, ou bien faut-il attendre sa reconnaissance par l'Etat, en 313 de notre ère ? Si Jésus n'a pas, selon certains, « fondé l'Eglise », est-ce Paul le fondateur ? Sans parler de bien d'autres points d'origine possibles. Et quel va être le contenu de cette histoire : diplomatique, relatant les faits, gestes et écrits des papes et des conciles ? sociologique, s'attachant aux phénomènes collectifs et populaires ? hagiographique, par le récit de vies édifiantes ? socio-économique, se bornant aux influences réci­proques avec les sociétés contemporaines ?

 

De l'événement à l'avènement

Nous ne pouvons retenir que deux certitudes : d'une part, la radicale nouveauté historique de Jésus Christ ; d'autre part, l'irréductible tension eschatologique de l'Eglise. Ces deux certitudes — la référence à l'événe­ment-Jésus et l'attente de la Parousie — sont paradoxales, dévoilant la gloire de Dieu (doxa) dans l'éclatement des catégories logiques reçues : succession des effets aux causes, irréversibilité du temps, principe d'identité.

Ce qui fonde l'Eglise, c'est la memoria Christi : « Faites ceci en mémoire de moi ». Le mémorial est un acte historique unique, où Dieu fait homme livre expressément son corps aux mains des hommes. (p.2) Désormais, l'histoire des hommes ne peut plus être la même qu'auparavant ; le temps des hommes est désormais, par l'Incarnation, irrémédiablement imprégné du temps de Dieu, qui n'a ni commencement, ni fin. Au Cénacle, ce jeudi soir-là, la première Eucharistie a fait l'Eglise, et une Eglise qui ne célébrerait plus l'Eucharistie verrait le tissu même de son être se désagréger, se défaire.

Car l'être de l'Eglise est dans ce récit qui réalise ce qu'il signifie ; l'Eglise est « comme un sacrement de salut » pour le monde des hommes. Elle dit, dans l'Eucharistie, son histoire propre, qui révèle l'économie divine. Siècle après siècle, la même et unique Cène du Jeudi saint (le me et unique sacrifice du Golgotha) s'est insérée dans la trame dense et passionnée des espoirs des hommes. L'Eglise s'est faite de cette conti­nuité, mais elle n'a été constituée par l'Eucharistie que dans la tension d'un avènement attendu, dans l'impatience d'un désir : « Viens, Sei­gneur Jésus ! ». Elle n'est pas « établie » dans ses biens et ses fonctions, mais elle est constamment, douloureusement, dangereusement, en porte-à-faux par rapport au temps qui l'entoure et que l'on appelle parfois — par dérision sans doute — « son » temps : non, ce temps-là n'est pas le temps de l'Eglise. On ne peut pas écrire avec ce temps-là l'histoire de l'Eglise.

L'abolition de l'histoire


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