Sur qui a-t-on tiré?

M. Rémi BRAGUE
Les conseils évangéliques - n°36 Juillet - Aout 1981 - Page n° 77

Réflexions sur les révolvérisations dont parlent les gazettes

 

Outre les raisons permanentes que nous avons de remercier la Providence, deux occasions particulières de lui témoigner notre reconnaissance s'offrent à nous en ce moment. La première est bien évidente, cent fois soulignée, et nous n'insisterons pas : que Jean-Paul II ait pu échapper aux balles d'un professionnel, c'est une grande chance. Mais il en est une seconde, qui risque de passer inaperçue, derrière l'heureuse issue de l'affaire qui la dissimule à. première vue : les chrétiens doivent se réjouir de ce que l'on ait tiré sur le Pape. Raté, si l'on veut. Mais bien visé quand même. On s'est dit surpris, voire atterré. On cherche des raisons. A commencer par celles qui ont pu se présenter à la conscience plus ou moins lucide du tireur. La perplexité se bariole alors d'étiquettes comme, au retour d'une interminable errance, une malle vide que chacun se renvoie. Le jeu est d'en coller une sur l'assassin (« fascisme »), ou de souligner qu'il est ridicule d'affubler la victime de telle ou telle autre (« impérialisme »). Alors, pourquoi? Cette question est. double. Celle de la victime n'est pas la nôtre. Posée par Jean-Paul II, qui, paie de son sang le droit de la poser, elle exprime sans doute l'innocence de celui qui coïncide tellement avec sa mission qu'il ne voit pas les obstacles, pour avoir abandonné au Père le souci de son issue. Pour nous, qui la posons du dehors, elle peut se formuler ainsi : que l'on veuille se débarrasser du souverain temporel et corrompu que connaissait Machiavel, passe encore. Mais un pape d'aujourd'hui, dont les armes ne sont que spirituelles, à quoi bon vouloir le tuer ?

L'attentat gêne, parce qu'il fait voler en éclats l'image confortable de la papauté que nous nous faisons souvent, chaque fois que nous prenons le spirituel pour de l'abstrait : « autorité morale », le pape est applaudi quand il va dans le sens du poil, grondé quand il refuse d'emboîter le pas à l'« homme moderne ». S'il demande aux personnes ou aux états un engagement un peu concret et pour tout de suite (morale sexuelle, aide au développement), on n'écoute pas, voilà tout. Remercions l'assassin de nous avoir rappelé que les paroles peuvent avoir leur poids, et que ce qui remplit la chaire de Pierre n'est pas une « grande voix » ou une « grande figure », mais un corps.

Le jour où personne n'aura plus envie de faire taire le Pape, au besoin par liquidation physique, c'est que la chaire de Pierre sera vide depuis longtemps. Ce qui doit donc étonner, c'est notre étonnement. L'anormal, c'est que cela n'ait commencé à se produire que depuis assez peu de temps. Il est parfaitement normal pour un évêque de se faire tuer parmi son peuple (Mgr Romero, par exemple). Le rouge des cardinaux est aussi celui du sang des martyrs. Le disciple n'est pas plus grand que son Maître — qui finit sur la Croix. [...]

 

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