Yves-marie BLANCHARD
Le canon des Ecritures
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n°221
Mai - Juin
2012 - Page n° 53
Irénée de Lyon est le premier auteur chrétien dont les œuvres font explicitement référence à la quasi-totalité des écrits appelés à constituer le canon des Écritures. Ce n’est pas pour autant que le processus canonique soit alors achevé, tant au plan formel que du point de vue des clés d’interprétation. Irénée est ainsi un témoin privilégié, à la charnière des temps apostoliques, voués à la composition des textes du Nouveau Testament, et de l’époque patristique, engagée dans un long et complexe processus de réception menant à la pleine canonisation des Écritures bibliques, tant du Nouveau que de l’Ancien Testament.
Le temps n’est plus où l’exégèse biblique et la théologie patristique se présentaient comme deux disciplines parfaitement indépendantes l’une de l’autre. En réalité, l’Écriture et les Pères sont étroitement liés, comme l’atteste entre autres choses l’histoire de la constitution du canon biblique. En effet, de même que les Pères de l’Église ne cessent de se référer aux Écritures, dans lesquelles ils trouvent l’inspiration et la régulation de leur propre discours théologique, de même ils contribuent grandement au processus de diffusion et réception des écrits bibliques, autrement dit leur canonisation. Leur intervention en ce domaine opère soit de façon directe, les Pères étant amenés à se prononcer sur les frontières du canon biblique (tout particulièrement sous la forme de listes canoniques, établies aux quatrième et cinquième siècles), soit de façon indirecte, dans la mesure où l’oeuvre exégétique des Pères a pour effet d’accréditer les méthodes de lecture et les procédures herméneutiques qui seront de règle tout au long de l’Antiquité chrétienne. Le processus de canonisation des écrits bibliques, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, fut sans doute long et progressif. Si son achèvement n’est guère pensable avant les quatrième et cinquième siècles, comme l’attestent les listes canoniques 1, contemporaines des [...]
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1. La datation du Fragment de Muratori a fait l’objet de multiples débats. Aujourd’hui, l’opinion majoritaire maintient la datation haute (vers 200), tout en suggérant de voir dans ce fameux « Fragment » moins une liste canonique à la façon des IVe-Ve siècles (Athanase d’Alexandrie, Eusèbe de Césarée, Grégoire de Nazianze, Amphiloque d’Iconium, etc.) qu’une suite de récits étiologiques relatifs à l’origine apostolique des écrits issus des premières générations chrétiennes et, à ce titre, susceptibles d’être reçus comme autorités en faveur d’une orthodoxie mise à mal par les courants gnostiques. En ce sens, la différence n’est pas si grande entre, d’une part, le Fragment de Muratori (par exemple ce qui y est dit du processus de composition du quatrième évangile), d’autre part, le célèbre texte d’Irénée relatif aux origines des quatre évangiles (AH III, 1, 1). Notons que la notion d’auteurs, suggérée par ce texte, s’inscrit d’abord dans la perspective d’une autorité théologique reconnue aux quatre évangiles « selon » Matthieu, Marc, Luc et Jean, plutôt qu’à l’histoire rédactionnelle proprement dite, selon les perspectives de l’exégèse moderne. Il convient donc de se montrer prudent quant au traitement historique des données fournies par Irénée.
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