Une fois pour toutes

Monsieur Jean-Luc MARION
Le temps d’en finir - n°249 Janvier - Février 2017 - Page n° 9

Nous n’avons que trop tendance à imaginer les temps derniers, entre la Résurrection et le retour du Christ, comme un épisode conclusif d’une histoire dont l’issue finale resterait encore indécidée. C’est-à-dire comme si la récapitulation de toutes choses dans le Christ ressuscité allait se jouer dans notre histoire à venir. Mais, en fait et en droit, c’est notre histoire qui se joue dans l’éternel « une fois pour toutes» de Pâques. Du point de vue de Dieu, le délai qui étend notre histoire entre, par exemple, ma mort et le Jugement universel, ne fait qu’un dans l’unique « aujourd’hui » de la Résurrection.


1. Confusions et dédoublements

Quand on en vient à ce qui viendra et ne vient pas encore, autrement dit à ce qu’on nomme, faute de mieux, l’eschatologie, les derniers jours ou la fin des temps, les confusions ne peuvent guère s’éviter. Car ce dont il s’agit, nous ne pouvons, par définition, pas le concevoir nettement. 

Pour au moins deux raisons. – D’abord parce qu’il s’agit d’un cas de révélation pour ainsi dire négative, car la venue certaine d’une fin ne nous fut annoncée que comme cachée et secrète : « Quant à ce Jour et cette Heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils ; mais le Père seul » (Matthieu 2 4, 36). – À c ette raison théologique, si stricte que quiconque l’ignore s’enfonce dans des hérésies désastreuses, s’ajoute une raison strictement philosophique : notre expérience ordinaire du temps nous interdit d’en concevoir la fin. Car le temps, à première vue, passe : il ne cesse de surgir d’une impression originaire et de passer, c’est‑à‑dire qu’il n’est qu’en tant qu’il ne cesse de disparaître ; au mieux, il ne traverse le présent que durant un instant ; car le présent seul est, au sens précis où les deux autres extases du temps ne sont pas, le futur n’étant pas encore, le passé n’étant déjà plus. Mais il y a plus ou pire : ce présent, qui ne dure qu’un instant, ne dure que ce que dure chaque instant, un instant, c’est‑à‑dire rien. Le temps n’a pas la moindre durée (nulla mora), ni même la plus petite durée – nulla morula, dit saint Augustin1. La fin dernière nous reste théologiquement fermée, et le temps, philosophiquement, s’échappe et nous échappe. En sorte que l’aporie, si complète, devrait nous réduire au silence. 

Pour autant, il nous reste un point certain, justement parce qu’il ne peut se déterminer : la mort. Non pas la mort en général, telle que je la constate, inexplicable mais banale, dans la disparition autour de moi des autres humains, spectacle étrange (où vont‑ils ?) et [...]
 

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1Confessions, X I, 1 5, 2 0 ( éd. “ Bibliothèque augustinienne”, t.14, Paris, Desclée de Brouwer, 1962, p.304)


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