n°249 Le temps d’en finir Janvier - Février 2017*


ÉditorialJean-Luc Marion : Le temps d’en finir

Thème Le temps d’en finir

Jean-Luc Marion : Une fois pour toutes

Nous n’avons que trop tendance à imaginer les temps derniers, entre la Résurrection et le retour du Christ, comme un épisode conclusif d’une histoire dont l’issue finale resterait encore indécidée. C’est-à-dire comme si la récapitulation de toutes choses dans le Christ ressuscité allait se jouer dans notre histoire à venir. Mais, en fait et en droit, c’est notre histoire qui se joue dans l’éternel « une fois pour toutes » de Pâques. Du point de vue de Dieu, le délai qui étend notre histoire entre, par exemple, ma mort et le Jugement universel, ne fait qu’un dans l’unique « aujourd’hui » de la Résurrection.

Peter Henrici : Le présent est décisif – Une méditation

Le temps, toute la philosophie l’a dit et répété, se reconduit, en dernière analyse, au présent, donc à l’instant sans durée. Pour que cet instant reste pourtant un exercice du temps, il faut qu’il devienne le théâtre, ou du moins l’occasion d’une décision. En fait, nous n’exerçons donc le temps que dans un acte éthique, selon une attitude pratique. Mais comment une telle éthique de la décision exige-t-elle qu’on l’accomplisse ? Sinon par mon rapport temporel à la décision par excellence, pour le Christ.

Knut Backhaus : « Pour que le jour ne vous surprenne pas comme un voleur » – Temps et apocalypse 

Le début et la fin du Nouveau Testament nous disent que le temps nous est compté et que le retour du Seigneur et son jugement sont proches. Mais de quel jugement s’agit-il et pour quand ? Comment passer de « l’apocalyptique », cette conscience du retour imminent du Christ dans les premières communautés chrétiennes, à l’attente de Celui qui semble tarder ? Cette attente doit devenir conscience de la proximité du Ressuscité dans l’acte liturgique, où l’éternité rentre dans le présent et fait de chaque jour le dernier jour possible.

Jean Vioulac : Le temps du deuil – Philosophie et eschatologie aujourd’hui 

La philosophie a su sortir de la confusion avec la théologie qui l’avait caractérisée dans toute son histoire. Cet accomplissement se paie pourtant d’une crise des fondements, que la phénoménologie a pensée jusqu’au bout, pour finalement découvrir (avec Derrida) que de fondement, il n’y a pas, mais un abîme d’absence. Si l’intériorisation de l’objet perdu en une crypte d’absence définit le deuil, il faut y reconnaître la temporalité originaire de l’histoire humaine. Or le christianisme, sauvegarde de l’Absent et de ce qui s’est révélé dans le vide du tombeau, constitue par excellence la religion de ce deuil. Et donc, au point ultime de son accomplissement, la philosophie rencontre ainsi l’eschatologie chrétienne.

Émilie Tardivel : Le temps dernier selon la Cité de Dieu de saint Augustin 

Une lecture précise de la Cité de Dieu d’Augustin montre que la fin des temps ne signifie pas la fin du monde, ni sa destruction, mais la reconduction du monde à son essence, qui n’est autre que la cité de Dieu. Car l’irréductible du monde ne tient pas à la division des deux cités (qui provient seulement du péché), mais à la cité de Dieu, qui finit, par contraste avec la cité terrestre, par apparaître comme la seule cité réelle. 

Paul Colrat : Retenir la fin – Interprétation politique du katêchon à partir de la phénoménologie de la donation 

Le katêchon, le « retenant », dont parle saint Paul dans la deuxième Épître aux Thessaloniciens, pose une question eschatologique et politique : quel type de communauté organiser après la Résurrection ? Le « jour du Seigneur » signifie-t-il la disparition immédiate des puissances terrestres ? On s’efforce, à partir des outils de la phénoménologie de la donation, de comprendre le délai que saint Paul rappelle aux Thessaloniciens entre la Résurrection du Seigneur et la destitution des pouvoirs.

Hans Urs von Balthasar : Le temps fini au sein du temps éternel – À propos de la vision chrétienne de l’homme

Le mystère chrétien ne peut se penser dans le cadre d’une opposition tranchée entre le temps et l’éternité : non seulement elle ne provient pas du monde biblique, mais elle conduit soit à séparer ce que Dieu veut unifier, soit, comme l’a fait la philosophie moderne, à rabattre le dessein divin dans le temps de notre histoire. Or il se pourrait que ce soit au contraire notre temps, fini et mortel, qui doive et (avec le Christ) qui puisse s’inscrire dans le temps éternel de Dieu.

Signets

Aldino Cazzago : Élisabeth de la Trinité — « À la lumière de l’éternité »

Le 16 octobre 2016, le pape François a proclamé sainte la bienheureuse Élisabeth Catez, moniale carmélite française morte à Dijon le 9 novembre 1906, à peine âgée de 26 ans, et connue sous le nom d’Élisabeth “de la Trinité”. Ses écrits et sa correspondance, où elle s’adresse à tous, montrent qu’elle a choisi de regarder la vie, du point de vue de Dieu, “à la lumière de l’éternité”. 

Denis Dupont‑Fauville : Fuocoammare — par-delà Lampedusa (Gianfranco Rosi 2016)

Ours d’or du dernier festival de Berlin, Fuocoammare est sorti à Paris de façon presque confidentielle. C’est pourtant l’honneur du cinéma que de pouvoir entraîner ses spectateurs dans de telles méditations qui, sans prétendre imposer une solution, convoquent notre discernement.


Nous remercions Noëmie Piacentino, Françoise Brague, Philippe Saudraix et Viviane Ceccarelli pour leur concours gracieux comme traducteurs.

Le temps d'en finir

Jean-Luc Marion

« Le temps est d'une précision littérale et tout miséricordieux » Hölderlin, Lettre à sa mère n.307, OEuvres, éd. P. Jacottet, Pléiade, Paris, 1967, p.1062=GSA 6/1,467. 

« Pardonnez-moi, frères; ne m'empêchez pas de vivre » Ignace d'Antioche, Épître aux Romains VI,2-3, SC 10 bis, p.114-115

 

L’eschatologie ne définit, au fond, pas le moment terminal du temps encore à imaginer, ni même la fin des temps, mais vise le mode de la temporalité inaugurée par la Résurrection du Christ et départie aussi, selon un délai énigmatique, à ceux dont la vie se trouve désormais «cachée» en lui.

Le temps eschatologique ne continue pas notre histoire, n’y ajoute rien et n’en attend rien, pas même la confirmation d’une Résurrection accomplie «une fois pour toutes» et définitivement acquise, sinon déjà évidente. Il définit la nouvelle fonction du temps – le temps de se décider devant la Résurrection du Christ, qui récapitule toutes choses, le temps de mettre toutes choses au clair, bref le temps d’en finir.

Ce n’est qu’avec ce temps d’en finir qu’une décision devient en effet possible, donc inévitable. On comprend alors que, paradoxalement, si nous connaissions l’heure et la date de la fin des temps, c’est alors que nous ne pourrions plus agir, décider ou même vouloir – que nous n’aurions plus de liberté, pas même celle de nous convertir. Si je n’éprouvais le temps que selon ce que la théorie métaphysique m’en dit, non seulement je n’accèderai plus au passé et pas encore au futur, mais le présent même s’évanouirait dans l’instant, ce point sans présence ni durée. Comment le temps, et d’abord le présent, pourront-ils jamais retrouver présence et durée ? Pour autant que j’éprouve le temps en vue d’une décision, comme l’occasion d’une résolution, qui fixe l’instant et même y récapitule le passé et y raccroche l’avenir. Si je savais l’heure de ma mort, je ne pourrais plus vivre ma vie. Si je connaissais le moment de la fin du monde, il n’y aurait plus de monde pour moi. Si je savais mon statut au jour du Jugement, je ne pourrais plus me décider pour le Christ ou contre lui. Seule cette absence dévoile. [...]

 
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Aldino Cazzago : Élisabeth de la Trinité — « À la lumière de l’éternité »

Le 16 octobre 2016, le pape François a proclamé sainte la bienheureuse Élisabeth Catez, moniale carmélite française morte à Dijon le 9 novembre 1906, à peine âgée de 26 ans, et connue sous le nom d’Élisabeth “de la Trinité”. Ses écrits et sa correspondance, où elle s’adresse à tous, montrent qu’elle a choisi de regarder la vie, du point de vue de Dieu, “à la lumière de l’éternité”. 

Denis Dupont‑Fauville : Fuocoammare — par-delà Lampedusa (Gianfranco Rosi 2016)

Ours d’or du dernier festival de Berlin, Fuocoammare est sorti à Paris de façon presque confidentielle. C’est pourtant l’honneur du cinéma que de pouvoir entraîner ses spectateurs dans de telles méditations qui, sans prétendre imposer une solution, convoquent notre discernement.


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