Monsieur Jean DUCHESNE
Mourir
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n°2
Novembre - Décembre
1975 - Page n° 34
La mort, celle des autres, mais aussi la sienne propre, peut venir à être désirée, consciemment ou non. L'instinct de conservation ne serait donc pas le seul à gouverner le comportement des hommes. D'où cette seconde idée que la mort n'est pas un accident qui viendrait de l'extérieur mettre fin à la vie, et que l'homme porte en lui, dès sa naissance, un instinct de mort.
La première page, 34, est jointe.
RARES sont ceux qui avouent s'intéresser à la mort. On n'envisage pas facilement ni allègrement ce point final et définitif de sa propre vie. Considérer froidement la mort des autres a l'air indécent à force de cynisme ou d'abstraction. Insupportable parce que sans remède, mal connue parce qu'inexpérimentable par soi-même, et pourtant seule certitude humaine, la mort est l'objet d'un « tabou » : un ensemble de douleur, de mystère et de contradictions l'enveloppe d'un silence prudent. Et les corbillards se faufilent discrètement dans les embouteillages.
Mais de nos jours, est-il un « interdit » qui résiste à la glorieuse audace de la « transgression »? Une première tentative consiste à nier le caractère tragique de la mort, en la déclarant conforme à l'ordre des choses, en un mot « naturelle » (comme le déplore Georges Brassens dans Le grand Pan). Ce ne serait que par superstition obscurantiste que les hommes auraient indûment dramatisé cet aboutissement « normal » de leur évolution biologique (1). La vision des « mouroirs » prophétisés par Aldous Huxley dans Le Meilleur des Mondes crédite de quelque avenir cette sérénité à coloration scientifique.
Mais abattre le « tabou » ôte tout le plaisir de la « transgression ». A défaut de pouvoir (ou de vouloir) disserter sur sa propre mort, on s'intéresse donc au spectacle de celle d'autrui, qui réveille les plus blasés. Comme le notait un jour Sir Laurence Olivier : « Rien n'est vraiment intéressant sur scène, à moins que l'artiste ne risque une mort soudaine ». Il faut dire qu'indépendamment de la perte de proches, les guerres, les famines, les épidémies, les maladies encore incurables, les catastrophes, les accidents de tous ordres, les assassinats en tous genres et les suicides ratés et réussis constituent une part non négligeable de l'actualité dont chacun est quotidiennement gavé. Tous ces cadavres amoncelés horrifient et scandalisent, certes, mais non sans éveiller des sensations profondes et durables, ni sans donner matière à des réflexions dont la pertinence et la nouveauté auraient une portée si considérable qu'elles éclaireraient et transperceraient l'insoutenable réalité.
Du moins, deux idées relativement neuves et justes s'exhalent du charnier que sonde cette méditation. La première est que la mort, celle des autres, mais aussi
(1) A la fin du XIXe siècle, le psychiatre russe Tokarski s'était déjà employé, comme les anciens stoïciens, à débarrasser la mort des craintes sordides qui y étaient liées et à faire qu'elle n'ait plus rien d'effrayant.
(p.34) la sienne propre, peut venir à être désirée, consciemment ou non. L'instinct de conservation ne serait donc pas le seul à gouverner le comportement des hommes. D'où cette seconde idée que la mort n'est pas un accident qui viendrait de l'extérieur mettre fin à la vie, et que l'homme porte en lui, dès sa naissance, un instinct de mort. On peut bien sûr trouver dans l'histoire maints exemples de volupté dans l'auto-destruction. Mais jamais si nettement qu'aujourd'hui n'a affleuré la conscience du rôle que joue dans la vie l'attrait de la mort.
Vérifié par des événements récents, deviné par les poètes, étudié par les psychanalystes, l'instinct de mort n'est pas sans projeter une lumière non moins crue qu'imprévue sur l'imitation de Jésus-Christ jusque dans sa Passion. C'est ici la raison d'être de cet article.
De Corneille à Hegel
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