Sur la transformation du sens de l'appartenance à l'Eglise

Cardinal Yves CONGAR
Appartenir à l'Eglise - n°5 Mai - Juin 1976 - Page n° 41

Intégration

le P. Congar a bien voulu tracer une généalogie de la question, et en donner un état : le droit canon a longtemps déterminé l'appartenance à l'église. Définition toujours valable. Mais aujourd'hui moins aisément comprise. les faits le montrent. Ils ne peuvent se substituer au droit

Il faut donc déterminer leur enjeu dogmatique. D'où l'esquisse d'une position pastorale : celle de communautés du seuil, non pas en marge de l'église, mais en marche vers la plénitude de son unité catholique.

 Les premières pages, 41à 43, sont jointes.

1. Les positions classiques jusqu'à Vatican II Nous ne ferons pas un historique de la question « de membris ». Cela ne manquerait pourtant pas d'intérêt, ne serait-ce que pour montrer qu'il a existé plusieurs approches de la question. Celle de saint Cyprien n'est pas celle de saint Augustin. Au moyen âge même il a existé plusieurs positions sur l'appartenance des pécheurs à l'Église. Mais la théologie classique de notre question a été fixée, comme l'a été son cadre ecclésiologique, par les grands auteurs de la contre-réforme, eux-mêmes héritiers de la Scolastique. Les réformateurs et les confessions de foi réformées avaient posé la question, non pas « Was ist die Kirche, Qu'est-ce que l'Église ? », mais « Wer ist die Kirche, Qui est l'Église ? » La réponse avait été : les vrais croyants et, en conséquence, la communauté vraie qu'ils forment [[Cf. B. GASSMANN, Ecclesia reformata (Die Kirche in den reformierten Bekenntnisschriften), Herder, 1968.]]. Les apologistes catholiques ont été amenés à traiter de l'Église sous l'angle de sa visibilité, de son authenticité apostolique, en insistant sur la question : qui appartient, qui n'appartient pas à la véritable Église ? [[Cf. P. EYT, « L'ordre du discours et l'ordre de l'Eglise » (Hypothèse sur les structures profondes d'un texte des « Controverses de Bellarmin), in Mélanges d'Histoire offerts d Mgr. E. Griffe, Bull. de Littér. Eccl., 73 (1972), 229-249.]].

La conjoncture globale était la suivante. D'abord une situation de chrétienté où, par exemple, pour le mariage, la validité civile ou sociale et la validité d'Eglise se recouvraient. Les situations étaient nettement distinguées et appréciées selon les règles canoniques. Et l'on avait dans l'ensemble une mentalité, non de large accueil, mais d'exclusion. Cela a joué un rôle décisif dans les divisions du XVIe siècle. Jusqu'à ces derniers temps, on ne pouvait, par exemple, admettre des enfants de divorcés dans les séminaires et noviciats. Jusqu'en 1946, les sœurs de l'Assomption, vouées à soigner les malades à domicile, ne le pouvaient pas pour les ménages de divorcés... [[Sur ce détail, voir Lucienne VANNIER. Sur le roc. Paris, 1975.]].

Autre élément de la conjoncture globale : les catholiques participaient au même monde culturel façonné par l'Église. Ce monde culturel avait une sorte d'harmonie, d'homogénéité, de congénialité avec les affirmations, les normes et les pratiques d'une Église efficacement dirigée par les clercs. Il existait ainsi une connaturalité et une concordance entre les valeurs dont on vivait ou dont on faisait profession de vivre et les règles de l'institution ecclésiale. Cela facilitait l'intégration. (p.41)

L'Église était définie juridiquement en catégories sociales comme societas perfecta. société autonome et complète, ayant tous les attributs juridiques d'une telle société, en particulier la « potestas coactiva », Dans ce cadre, la situation des personnes était susceptible d'une exacte description ou définition juridique (4). Tout baptisé est une personne dans l'Église, avec les droits et les devoirs des chrétiens sauf, pour ce qui est des droits, si une censure s'y oppose ou un obex empêchant la communion ecclésiastique. C'est le canon 87 (5). Les obligations, elles, demeurent.    

Le baptême confère la grâce d'union au Christ. A l'époque des Pères et au moyen âge, les questions posées portent sur le statut dès baptisés pécheurs : restent-ils membres du Corps du Christ, de l'unité ecclésiale ? De quelle unité ? Le baptême confère aussi le caractère, qui demeure jusque chez le damné : en vertu de quoi tout mariage entre baptisés, même « in infidelitate », est eo ipso le sacrement de mariage (6).

On précisait les catégories auxquelles s'appliquaient les empêchements d'obex et de censura. L'empêchement tenant à la rupture de la communion touchait les apostats, hérétiques et schismatiques. Ces catégories étaient défi­nies par le canon 1325, § 2 (7). La belle concision des formules latines traduit des précisions redoutables. Est hérétique le chrétien baptisé qui, professant tou­jours le christianisme, nie de façon obstinée — n'importe quelle erreur n'est pas hérésie ; il y faut la p'ertinacia — une vérité qu'on est tenu de croire au titre de sa révélation par Dieu et par sa proposition comme révélée, par l'Église (fide catholica), ou même le baptisé qui met en doute une telle vérité, « aut de ea dtthitot ». me s'il s'agit d'un doute affirmé, extérieurement professé, la notion apparaît terriblement extensive. Est schismatique celui qui refuse de se soumettre au Souverain Pontife ou d'être en communion avec des membres de l'Église qui lui sont soumis. On sait que la notion de schisme s'est progressive­ment concentrée sur la soumission au pape, alors qu'elle avait été définie, d'abord, parle fait d'élever autel contre autel dans le cadre de l'Église locale (8). Pour le Codex loris canonici l'apostat est celui qui s'est totalement retiré de la foi chrétienne. On ne saurait donc ramener l'apostasie à la sortie de l'Église telle que l'entendent la situation et la législation allemandes de la Bundesrepuhlik (9).

Les membres étaient privés de certains de leurs droits, soit par leur situation (pécheurs publics), soit par une censure d'excommunication et, pour les clercs, de suspense.

(4)   On peut voir tout traité De Ecclesia et A.C. GIGON,De mein bris Ecclesiae Christi, Fribourg, 1949 ; L. BOISVERT, Doctrine de membris Ecclesiae iu.cta documenta Magisterii recentiora, Montréal, 1961 ; A. HAGEN, cité infra n. 9. Application aux protestants : E. DU MONT. La situation du protestant baptisé, Saint-Maurice, 1959 (critiqué par J. KAELIN, Nova et Vetera 35 (1960). 119-122.

(5)  « Baptismate homo constituitur in Ecclesia Christi persona cum omnibus christi'anorum iuuihus et officias, nisi ad aura quod attinet, obstet obex ecclesiasticae communionis vinculum impediens, vel luta ah Ecclesia censura.

(6)  C'est le fameux canon 1012 sur lequel nous reviendrons plus loin.

(7) « Post receptum baptismum si quis, nomen retinens christianum, pertinaciter aliquam ex veritati­bus fide divina et catholica credendis denegat, a« r de ea dubitat, haereticus ; si a fide christiana totalizer recedit, apostata ; si denique subesse renuit Summo Pontifici aut cum membris ei suiectis communicare recusat, schismaticus est ». Pour une brève histoire et une élaboration des notions de schisme et hérésie, cf. notre L'Eglise, une, sainte, catholique et apostolique (« Mysterium salutis 1S), Paris, 1970, p. 65-121.

(8)  Voir notre article « Schisme » in Dict. Théol. Cath. XIV, col. 1286-1312.

(9)  Nous critiquerions donc A. HAGEN. Die Kirchliche Mitgliedschaft, Rottenburg, 1938, p. 56 sv.

 

 p.42

 

Cette doctrine canonique, qui avait évidemment des fondements théologi­ques, a été dogmatiquement exprimée par l'encyclique Mystici corporis de Pie XII, 29 juin 1943. Voici les passages qui nous intéressent :

ln Ecclesiae autent membris reapse ii                     Mais seuls font partie des membres de

soli annumerandi stint, qui regenerationis            l'Eglise ceux qui ont reçu le baptême de

laracrum receperunt reramque(idem pro-              régénération et professent la vraie foi, qui

fitentur, neque a Corporis compage ipsos            d'autre part ne sont pas pour leur malheur

misere .separartmt tel oh gravissime ad-             séparés de l'ensemble du Corps ou n'en

misse a legitima auctoritate seiuncti sunt          ont pas été retranchés pour des fautes très

(n" 21, AAS. 1943, 202).                                        graves par l'autorité légitime (Trad. officielle publiée au Vatican).

Le n° 69. p. 227, énumère les éléments ou conditions de la communion ou de l'unité : « profession d'une même foi, communion des mêmes mystères. parti­cipation au même sacrifice, mise en pratique enfin et observance des mêmes lois. Il est en outre absolument nécessaire qu'il y ait, manifeste aux yeux de tous, un Chef suprême par qui la collaboration de tous soit dirigée efficacement pour atteindre le but proposé. Nous avons nommé le Vicaire de Jésus-Christ sur la terre ». Dans ces conditions, quelle sera la situation, au regard du Corps mysti­que qui, sur terre, est identiquement l'Église catholique romaine, de ceux qui ne reconnaissent pas l'autorité du pape ? L'encyclique répond, au n" 10-h : « par un certain désir et souhait inconscient, ils se trouvent ordonnés au Corps mystique du Rédempteur » (10).

Dans cette doctrine, les éléments de vie spirituelle, que l'encyclique ne négligeait pas plus que ne faisait Bellarmin, étaient, pour apprécier l'apparte­nance à l'Église et même au Corps du Christ, subordonnés aux normes d'appar­tenance visible, juridiquement définissables et définies. Pour Bellarmin et; parmi les auteurs récents, Chr. Pesch et Lercher, le baptême simplement réputé valide suffit à constituer membre de l'Église.

2. Comment les questions réelles se posent de façon nouvelle

A) Le Concile a quitté les cadres étroits d'une conception de l'Église comme société, « societas inaequalis, societas perfecta », pour une vision de l'Église comme communion (11). Déjà l'interprétation socio-institutionnelle que l'ency­clique donnait de la notion de Corps mystique avait été fréquemment critiquée. Le Concile ne l'a pas reprise ; il a donné une description assez exégétique du thème (cf. Lumen Gentium n° 7) et ne lui a pas fait jouer le rôle de définition de l'Église que lui ont attribué le premier concile du Vatican, Franzelin et Pie XII (12). Le Concile a d'abord vu, dans le thème du Corps, les rapports entre les ,fidèles et le Christ, c'est seulement ensuite qu'il en affirme la valeur ecclésiolo­gique._Mais alors même. il n'identifie pas purement et simplement le Corps

( 10) "Etiamsi inscio quodam desiderio ac roto ad ntysticvan Redemptoris Corpus ordinentur"  AAS, p. 143.

11) Cf. Antonio ACER131. Due ecclesiolo,gie (Ecclesiologiu giuridica ed ecclesiolo,r;ia di comunione

uella ., Lumen Gentium «), Bologne. 1975.

(12) Vatican I : cf. Les annotations au premier schéma De Ecclesia, Collectai Lucensis VII, 578 ;

FR.ANZELIN. Theses de Ecclesia (Opus posth.), Rome. 1887, p. 308 ; PIE XII. enc. Mystici cari cris n" 13 (AAS, p. 199). 

 p.43

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