Image et exclusion

Si une définition tirée de Roland Barthes permet de mesurer à quel point semble infranchissable l'écart entre les images et la réalité, la réflexion amène à en souligner l'insuffisance quand c'est de l'homme fait à l'image et à la ressemblance de Dieu qu'il est question.

Dans son beau livre Fragments d’un discours amoureux, Roland Barthes écrit : «Voici donc enfin la définition de l’image, de toute image : l’image c’est ce dont je suis exclu. »

Cette formule semble d’abord balayer toute incertitude et nous nous surprenons à acquiescer, émerveillés et désabusés. Ne savionsnous pas, en effet, que se creuse entre les images et la réalité un fossé infranchissable ? Que les sages images, et même les moins sages, donnent à la vie, à notre vie, une intensité, un charme toujours renaissant et toujours décevant, et proposent des valeurs illusoires, exposent des qualités usurpées ? Les belles princesses de la vie ne sont jamais aussi belles que sur leurs portraits ; les forêts ne sont jamais aussi profondes que sur les gravures ou dans les dessins animés ; les produits du marché n’ont jamais l’enivrante saveur que l’image publicitaire leur confère... et nos banales vacances de l’été dernier se trouvent magnifiées dans l’album qui traîne négligemment sur la table du salon. Quelle femme plus belle que la femme des peintures ou des photographies ? Quelle plus séduisante, plus prometteuse, que ces Vénus, multipliées à l’envi par les peintres et les sculpteurs ? Quel guerrier plus beau et plus héroïque que le saint Georges de Carpaccio, au moment où, tel un éclair noir et doré, il transperce le dragon de sa lance et le fige,  soudain statufié, dans l’élan de son envol ? Et comme la guerre elle-même est jolie – et héroïque – sur les tableaux de bataille ! Mais sans aller si loin, qui vit jamais trois pommes sur une table de bois, plus réelles et plus calmement émouvantes que ces pommes de Cézanne ? [...]