Steven ENGLUND
La Révolution
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n°83
Mai - Aout
1989 - Page n° 131
On tend aujourd'hui à minimiser la profondeur du conflit entre l'église et la Révolution, en ramenant la «religion» à n'être qu'une affaire de conscience personnelle. Ce point de vue de l'historien des « temps modernes » présente bien des avantages. Mais une perspective médiéviste montre que le catholicisme romain a été une composante essentielle de la France monarchique qui n'a cependant jamais pu l'annexer, tandis que la Révolution était amenée à tenter d'instaurer un autre « sacré ».
« RIEN à l'origine ne laissait prévoir le conflit entre la Révolution et l'Église». « La Révolution française n'a jamais eu l'ambition de déraciner le christianisme ». C'est ce qu'affirment (respectivement) Mona Ozouf et François Furet dans leur admirable et décisif Dictionnaire critique de la Révolution Française, et c'est le point de vue qui semble désormais s'imposer. En d'autres termes, s'il y eut une « logique » aboutissant à un affrontement inévitable entre l'Eglise et l'Etat révolutionnaire, les protagonistes n'auraient au moins pas eu conscience que la collision était programmée d'avance et les événements se seraient enchaînés de manière contingente...
De fait, les disciples des « Lumières » ne discernaient d'incompatibilité qu'au sein du christianisme, selon qu'il se présentait « comme croyance » (et donc respectable) ou bien « comme pouvoir politique ». Malheur à l'Eglise qui avait « scellé par la révocation de l'Edit de Nantes son alliance avec la monarchie», s'offrant ainsi elle-même en «cible d'élection » des ennemis de l'absolutisme. Ces critiques venaient d'ailleurs surtout du bas-clergé, et leur porte-parole le plus éminent fut sans doute le bénédictin Dom Gerle, décrit pour une part comme « un chaud patriote » par Michelet. Le soutien du clergé au Tiers-Etat fut manifeste dès la convocation des Etats Généraux et ne fit pas défaut tout au long des réformes qui affectèrent le plus radicalement l'Eglise — y compris lors de la « nationalisation » de ses biens. Certes, quelques députés du clergé (et surtout des évêques) tinrent à protester. Mais ils n'allèrent pas plus loin, à la fois par mauvaise conscience et parce que « l'Eglise catholique était habituée à cette subordination au pouvoir temporel ».
La Constitution civile du Clergé marqua évidemment « un changement de rythme ». N'y a-t-il pas alors lieu de soupçonner l'émergence d'une hostilité latente au catholicisme ? Mais il faut se garder de confondre anticléricalisme et volonté de déchristianisation. N'a-t-on pas simplement là une « revanche du jansénisme », c'est-à-dire d'« une Eglise alignée sur l'ordre civil et dépendant entièrement du pouvoir temporel» ? La conclusion est alors que « la crise du serment renouvelle sous une forme plus aiguë, et infiniment plus massive, des épisodes de l'histoire des relations entre l'ancienne monarchie et le clergé janséniste ».
Il n'en demeure pas moins que, même si cet affrontement ne fut voulu par personne, les conséquences de « la politique religieuse de la Révolution » furent profondes et durables, bien au-delà des persécutions et de la vaine tentative de déchristianisation en règle et d'établissement d'une « religion révolutionnaire ». Michelet disait déjà que « la Révolution a pu fermer l'Eglise mais non ouvrir le Temple ». On peut reconnaître aujourd'hui que « la Révolution n'est pas une parenthèse qu'on referme : elle marque les débuts d'une pratique indifférente et intermittente» — jusqu'à nos jours. Mais la question reste alors posée de savoir si une telle mutation n'est issue que du règlement violent, dans la conflagration des années 1789-1799, de conflits apparus aux « temps modernes » (XVIIe et XVIIIe siècles) entre l'Eglise et l'Etat, ou s'il ne convient pas de rechercher des origines bien plus lointaines et pourtant non moins décisives. [...]
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