Si l’on veut éviter de célébrer la légende plutôt que l’histoire, il faut d’abord s’assurer des faits : l’Eglise que surprend la Révolution, si elle est menacée par le recul de la piété, est marquée en même temps par un renouveau et un approfondissement. Les mots d’ordre de la Révolution commençante sont même en consonance avec certaines formules chrétiennes. Le malentendu ne résulte ni d’un refus des droits de l’homme, ni d’un attachement à la royauté, mais de la Constitution civile du Clergé. Il débouche sur des martyres authentiques, pour la foi et non pour l’Ancien Régime. L’événement révolutionnaire fut diversement accueilli au XIXe siècle, à l’étranger comme en France. Chateaubriand, Keller, Péguy en proposent chacun une lecture qui marquera leur époque et peut orienter notre réflexion.
Deux cents ans après, il reste à faire le bilan. D’une part, il faut se tourner vers l’histoire pour demander quels fruits spirituels l’Église a tirés de l’épreuve radicale à laquelle elle a été soumise, et quel discernement il lui faut appliquer, encore aujourd’hui, à l’idée de révolution.
D’autre part, il faut se demander dans quelle mesure les droits proclamés par la Révolution sont bien ceux que l’Église défend aujourd’hui. On nuance alors l’image d’un ralliement tardif : les droits de la personne de 1989 (et déjà 1948) sont plus complets et plus concrets que les droits du citoyen votés en 1789, et ils laissent ouverte la question de leur fondement divin.
Editorial : Jean Duchesne : Rêve et évolution
Le bicentenaire plonge dans un certain malaise la société civile, qui ne sait trop quoi célébrer au juste. L'Église y trouve l'occasion de rafraîchir sa mémoire et de mieux percevoir son rôle actuel. Ses démêlés avec une société qui préfigurait le totalitarisme lui rappellent qu'elle doit encore aujourd'hui défendre les « droits de l'homme» contre la tentation de ne se fonder que sur l'homme.
Faits
Olivier Chaline : Vitalité du catholicisme français au XVIIIè siècle
Déclin de la ferveur après un «siècle des saints » ou antichambre de la Révolution, le siècle des Lumières semble être surtout celui d'un catholicisme en perte de vitesse. Mais le XVIlle siècle religieux fut bien plus riche et divers qu'on ne l'a dit. Il y eut des créations et des renouvellements, des réformes et des approfondissements.
Jean-Louis Quantin : Aux origines religieuses de la devise républicaine : quelques jalons de Fénelon à Condorcet
« Liberté, égalité, fraternité », trois idées chrétiennes. mais d'abord trois mots chrétiens, dont on peut repérer, bien avant leur laïcisation, voire leur utilisation contre l'Église, l'apparition isolée, puis regroupée, dans des descriptions de la vie des premiers chrétiens.
Jean Chaunu : La Constitution civile du Clergé
La rupture entre l'Église et la Révolution ne date pas de la Déclaration des Droits de l 'Homme, ni de la chute de l 'Ancien Régime, mai s bien de la Const i tut ion civi le du Clergé. Cette « faute politique» est la source des inépuisables malentendus entre l'Église et les héritiers de 1789.
Gérard Cholvy : Les martyrs
Incomparables tant aux « martyrs » révolutionnaires qu'à ceux qui prirent les armes pour le roi, il y a eu pendant les persécutions religieuses de la Révolution des martyrs pour la foi chrétienne. Des critères sers permettent de ne pas sacrifier leur mémoire, sans faire pour autant le jeu de propagande contre-révolutionnaire.
Regards
Xavier Tilliette : La Révolution française vue d'Allemagne
C'est surtout en Allemagne que la Révolution française a été un événement européen. Dans une nation morcelée, la population est restée sage et patiente ; le jacobinisme des intellectuels, après une flambée, a fait long feu. La Terreur a provoqué une frayeur empreinte de stupeur. La Révolution était un phénomène trop ambigu pour ne pas déconcerter le jugement.
Arlette Michel : Révolution et religion : Chateaubriand, de l'Essai sur les révolutions au Génie du christianisme
L'Essai sur les révolutions, de 1797, est marqué du plus sombre pessimisme : les sophismes et les crimes de la politique vont de pair avec l'échec consommé du christianisme, et le retour à la liberté naturelle est une illusion. Pourtant, le Génie du christianisme, en 1802, affirme la possibilité d'une société nouvelle, fondée dans une renaissance du christianisme.
Philippe Levillain : Révolution et Contre-Révolution : Emile Keller
La doctrine contre-révolutionnaire n'est pas simpliste, mais procède d'un principe simple : refuser à la Révolution toute valeur dans l'histoire et en faire la source de tous les maux de la société qui en est issue. Le catholicisme intransigeant qui s'affirma après 1870 s'efforça de faire triompher la Contre- Révolution, mais moins par une négation sèche de la Révolution que par une lecture de l'histoire à la lumière du Syllabus, considéré comme une profession de foi positive pour sauver la société libérale.
Jean-Marie Peny : Péguy et la Révolution
Pour Péguy, une révolution n'est pas une rupture, mais le rétablissement d'une continuité plus profonde, la résurgence de tout un peuple. Une révolution doit aller jusqu'au bout d'elle-même, jusqu'à la conversion.
Bilans
Mgr Claude Dagens : La mission de l'Église dans l'épreuve de la Révolution
Au-delà de la reconstruction et du récit intelligible du passé, il faut tenter une lecture spirituelle de la Révolution, comme épreuve pour l'Église. Epreuve historique complexe, imprévisible, violente, dont nous n'avons pas fmi de subir les conséquences, mais aussi épreuve spirituelle qui, parce qu'elle mena à distinguer clairement la foi catholique d'un système politique et à réaffirmer la fidélité à Rome, déboucha sur un renouveau spirituel et missionnaire.
Mgr Pierre Eyt: L'Église, la Révolution française et les révolutions
La blessure laissée par la Révolution a mis longtemps à se refermer — si elle l'a vraiment fait. Elle doit continuer à avertir de l'ambiguïté que contient l'idée même de révolution, en ses résurgences contemporaines : est-elle vraie libération de l'homme ou mythe cautionnant la violence et servi par elle ? Il faut un discernement si l'on ne veut pas confondre le rêve d'une société nouvelle avec l'espérance du Royaume.
Steven Englund : «Rome» et «César» en France
On tend aujourd'hui à minimiser la profondeur du conflit entre l'Église et la Révolution, en ramenant la «religion» à n'être qu'une affaire de conscience personnelle. Ce point de vue de l'historien des « temps modernes » présente bien des avantages. Mais une perspective médiéviste montre que le catholicisme romain a été une composante essentielle de la France monarchique qui n'a cependant jamais pu l'annexer, tandis que la Révolution était amenée à tenter d'instaurer un autre « sacré ».
Yves-Marie Hilaire : Droits de l'homme, droits de la personne
Après avoir critiqué certains articles de la Déclaration française des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, et avoir contesté pendant plus d'un siècle l'idéologie individualiste qui l'a inspirée, l'Église catholique défend et promeut aujourd'hui les « droits de l'homme ». L'Église aurait-elle atténué son intransigeance ? N'est-ce pas plutôt l'évolution des sociétés qui a permis à l'Église, d'une part de mieux faire comprendre ses réserves, d'autre part de contribuer à obtenir des compléments à la Déclaration de 1789 ?
Jean Marensin : À propos de droits
Séparer les droits individuels des droits sociaux interdit aussi bien de les penser que de les respecter. Il vaut mieux montrer leur interdépendance, ainsi que la nécessité d'un arbitrage là oh ils sont en conflit. L'Église a défendu au long de son histoire, et encore maintenant, l'élargissement du sujet du droit (à l'esclave, à la femme, aujourd'hui à l'enfant à naître...). Les droits de l'homme ne sont qu'une partie des droits de Dieu, car les égards dus à l'homme sont d'abord ceux qui reviennent à un enfant de Dieu.
Philippe Boutry : La canonisation des martyrs de la Révolution : hagiographie et histoire
Ce n'est pas à chaud, mais après mûre réflexion, que l'Église, à partir du début de notre siècle, a canonisé certaines des victimes des violences révolutionnaires, non sans susciter des controverses. Il fallait distinguer avec soin ceux qui étaient morts pour la foi menacée, et, en particulier, peser avec soin la valeur des différents serments que la République demanda de prêter, et que les martyrs refusèrent ou non de prêter.
Documents
— Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (1789)
—Déclaration universelle des Droits de l'Homme (1948)
—Extraits du Bref Quod aliquantum (1791)
Conclusion
Marie-Christine Challiol : Les droits de l'homme : un problème d'origine
La source ultime des droits de l'homme ne peut pas être la volonté générale. L'Église, parce que c'est leur seule assise ferme, doit les ramener au droit de Dieu.
Rêve et évolution
Jean Duchesne
Toujours avides d'occasions de rentabiliser leurs coûteux investissements en moyens techniques, nos systèmes médiatiques s'avèrent friands d'anniversaires — à défaut ou en sus de la matière première d'événements suffisamment dramatiques pour leurs appétits. Mais le chiffre rond du bicentenaire ne justifie pas complètement que tant de projecteurs soient braqués sur la Révolution française depuis de nombreux mois déjà. Car la remémoration rejoint, éclaire ou complique des débats et des hésitations particulièrement sensibles aujourd'hui, tant dans la société civile que dans 1'Eglise. L'échéance recouvre et recoupe donc des enjeux dont Communio ne pouvait se désintéresser.
1. La célébration de 1789 ne devrait à première vue susciter aucune réserve. On peut y reconnaître des fondements historiques de la démocratie et des droits de l'homme, qui sont désormais l'objet du consensus le plus large. Le malaise de la mémoire vient sans doute d'abord de ce que l'interprétation de la Révolution a longtemps servi à différencier ce que l'on peut appeler, pour aller vite, une « gauche » et une « droite » : la première se réclamant inconditionnellement du « mouvement » né en 1789 pour le mener à son achèvement jugé inéluctable ; la seconde s'appliquant à le freiner et n'y voyant pas que des bienfaits. Un tel clivage, qui oppose deux visions de l'histoire et même du monde, et qui s'avère pourtant plus passionnel que strictement idéologique, ne s'oublie pas si aisément. Plutôt que de disparaître, il se déplace. Le bleu-blanc-rouge est adopté (voire brandi) jusqu'à l'extrême « droite », où l'on accepte les principes républicains — tout en réprouvant le sang versé en leur nom dès le 14 juillet et en dénonçant les risques de dérive totalitaire. Cependant que l'on s'efforce en face d'expliquer — et non plus de légitimer — les débordements [...]
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