De la technocratie

Thierry BERT
Sciences, culture et foi - n°48 Juillet - Aout 1983 - Page n° 38

Intégration

ou du bon usage de la technique économique dans l'art de gouverner

 Le danger, réel, mais aussi mythique, de la technocratie, ne résulte pas de l'usage de la science économique comme telle, mais de l'incapacité où se trouve le pouvoir politique, et déjà la société civile, de l'intégrer dans une vision culturelle globale.

Pour y parvenir, il faudrait que la culture redevienne intelligente et responsable. Ici, la foi peut tenir un rôle.

La première page, 38, est jointe.

IL était nécessaire, dans ce numéro portant sur les rapports entre science, culture, et foi, d'aborder l'un des grands mythes de la France contemporaine : celui de la « technocratie ». Le Petit Larousse, bon guide en matière d'idées reçues, va très loin dans sa définition critique du « technocrate » en qui il voit « un homme d'Etat ou haut fonctionnaire qui exerce son autorité en fonction d'études économiques théoriques, sans toujours tenir un compte suffisant des facteurs humains ». Cette simple définition est très significative de l'état d'esprit général à cet égard. Il se résume en quelques accusations, confortant toutes l'idée que nous sommes dans un état de totalitarisme technocratique et qu'il convient de s'y opposer au nom des valeurs spirituelles :

1. Les gouvernements modernes, ayant remplacé leur autorité naturelle par une perpétuelle référence à la science, et notamment à la science économique, oublient les hommes au milieu de leurs chiffres.

2. La méthode qu'ils appliquent est étendue de l'économie à l'ensemble des domaines où doit s'exercer le commandement social, si bien que rien n'échappe au gouvernement des techniciens, même les aspects les plus privés de l'existence.

3. Le caractère très contraignant de la logique qu'appliquent ces individus peu recommandables aboutit de plus à priver l'instance politique de toute liberté réelle, si bien que le pays est en fait gouverné, non par la représentation nationale (qui est en fait inféodée aux experts), mais par des fonctionnaires anonymes. (p.38)

4. Et si, au moins, ces technocrates étaient efficaces, peut-être pourrait-on leur pardonner ; mais ils se trompent continuellement et poursuivent imperturbablement leurs erreurs, sans être relégués dans les plus obscurs bureaux dont ils n'auraient jamais dû sortir.

5. Le comble est que nul ne sait quel but s'assignent ces fonctionnaires —, à moins, peut-être, qu'ils n'en aient pas —, et quelle idéologie est sous-jacente à leurs discours et à leurs décisions.

 

Il n'y a pas de fumée sans feu : si les «technocrates» sont à ce point attaqués, c'est bien que le type de pouvoir qu'ils exercent appelle des observations, sans pour autant qu'un examen objectif (ou aussi objectif que possible, car l'auteur en est un...) de la réalité n'aboutisse à justifier systématiquement toutes les critiques dont ils sont l'objet.

Pour y voir un peu plus clair, nous allons examiner succinctement la méthode « technocratique » à partir d'un exemple réel, sinon « concret » ; cette analyse servira de référence à des développements sur les limites du discours technique lorsqu'il s'agit de gouvernement, pour aboutir à l'analyse critique de la situation actuelle.

I. LE DISCOURS TECHNOCRATIQUE ET LA RECHERCHE DE COHÉRENCE

Qu'est-ce qu'un « modèle » ?

Si les choix effectués par les «technocrates» sont revêtus d'un aspect si «scientifique » qu'ils parviennent à s'imposer comme mode de gouvernement, c'est qu'ils doivent être appuyés sur une méthode elle-même rodée et assez impressionnante pour entraîner l'adhésion des responsables politiques.

Pour pénétrer dans les arcanes de cette décision, faisons un détour par ce monde mystérieux, gardé par les cerbères de la Direction de la Prévision et de l'I.N.S.E.E., qu'on appelle un modèle économétrique : peut-être y percevra-t-on le type de rationalité qui y est mis en œuvre, sa portée et ses limites.

Et comme rien ne vaut mieux que de travailler sur du «précis» (sinon du concret), nous étudierons un modèle précis de la Direction de la Prévision, «PROLIX» [[PROLIX pour «Projection des Liquidités », cf. Economie et Prévision, n°53.]] pour les intimes, chargé de décrire les conditions de l'accumulation du capital dans l'histoire récente de notre pays, et d'en tirer des enseignements de politique monétaire.

 

1. Première phase : l'élaboration d'un circuit d'ensemble

Le problème à traiter sera d'abord défini sous forme d'une analyse exhaustive des divers éléments qui entrent en jeu dans le système qu'on veut étudier. Ce système est continuellement inter-actif sans que soient définies les variables (p.39)

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Thierry BERT

 


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