M. Jean MESNARD
Sciences, culture et foi
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n°48
Juillet - Aout
1983 - Page n° 77
L'ordre de l'esprit et l'ordre du coeur, la vérité scientifique et la charité ne se contredisent ni ne se confirment. Face à la charité, la science reste indépendante mais aussi en attente de sens et de finalité.
La première, 77, et la dernière page, 84, sont jointes.
QU'EST-CE que la science ? Comment se situe-t-elle dans la connaissance en général ? Quelle part lui revient-il dans l'existence humaine ? Quels sont les domaines où ses normes s'appliquent incontestablement, et ceux qui en requièrent d'autres ? A ces questions, la réponse de Pascal, affinée tout au long de son œuvre, n'est pas seulement l'une des plus originales, mais l'une des plus précises et des plus complètes qui soient. L'une des mieux adaptées aussi à l'homme contemporain, quoiqu'elle ait été énoncée il y a plus. de trois cents ans, parce qu'elle émane d'un savant particulièrement soucieux de rigueur, et qui entend peser la science aux poids de la science même. Elle porte d'abord sur le statut interne de la science, c'est-à-dire sa définition, sa nature ; puis sur son statut externe, c'est-à-dire sa relation avec ce qui n'est pas elle, sa portée, sa valeur, sa signification.
IL y a pour le moins deux manières de définir la science. On peut considérer l'acte d'invention qui lui donne naissance et la philosophie qu'il implique. On est alors conduit à insister sur l'importance de la méthode, sur la nécessité de se défaire des préjugés et de refuser toute explication autre que rationnelle. On verra dans la démarche du savant un passage de l'obscur au clair, à jamais inachevé, exigeant en premier lieu l'imagination qui suscite les hypothèses, et l'on appréciera la fécondité de cette démarche autant à la portée d'intuitions encore confuses qu'à la solidité parfaite des résultats obtenus. Pascal n'exclut pas ce point de vue, mais il s'intéresse moins à l'acte individuel d'invention qu'à l'acte collectif de communication que réalise la science constituée du fait qu'elle (p.77) s'impose à tous les hommes. Soucieux de délimiter très précisément les notions, il s'attache à distinguer ce qui est scientifique et ce qui ne l'est pas. A l'âge de vingt-quatre ans, il n'hésite pas à faire assez insolemment la leçon au jésuite péripatéticien le P. Noël : « On ne doit jamais porter un jugement décisif de la négative ou de l'affirmative d'une proposition, que ce que l'on affirme ou nie n'ait une de ces deux conditions, savoir, ou qu'il paraisse si clairement et distinctement de lui-même aux sens ou à la raison, suivant qu'il est sujet à l'un ou à l'autre, que l'esprit n'ait aucun moyen de douter de sa certitude, et c'est ce, que nous appelons principes ou axiomes... ou qu'il se déduise par des conséquences infaillibles et nécessaires de tels principes ou axiomes, de la certitude desquels dépend toute celle des conséquences qui en sont bien tirées... Tout ce qui a une de ces deux conditions est certain et véritable, et tout ce qui n'en a aucune passe pour douteux et incertain. Et nous portons un jugement décisif des choses de la première sorte et laissons les autres dans l'indécision, si bien que nous les appelons, suivant leur mérite, tantôt vision, tantôt caprice, parfois fantaisie, quelquefois idée, et tout au plus belle pensée... »
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Dans le plus célèbre des fragments consacrés aux trois ordres, Pascal ne retient de chacun d'eux que ce qui en représente le sommet, ce qui en manifeste la suprême grandeur. Dans l'ordre des corps, la puissance des souverains. Dans l'ordre des esprits, la science. Dans l'ordre du coeur, la charité ou amour de Dieu. Ces notions ainsi soigneusement distinguées, il est clair que chacun des ordres est radicalement hétérogène aux autres. Le plus haut degré de puissance ne donne pas le plus petit commencement d'amour. Ainsi, les grandeurs d'un ordre s'annulent devant celles de l'ordre supérieur, comme la ligne est un zéro par rapport au plan, le plan un zéro par rapport aux volumes. La grandeur d'Archimède comme prince s'annule devant sa grandeur comme savant. A la grandeur de Jésus-Christ, qui se situe tout entière dans l'ordre de la charité, rien ne manque.
Il découle de là que, dans l'échelle des êtres, la science occupe une position médiane, comme l'esprit dont elle est l'œuvre majeure. Elle découvre en l'homme une dimension qui le fait échapper à l'animalité ; mais elle est impuissante à lui assigner une fin. S'y tenir, c'est sacrifier une part du réel, ce qui revient à trahir la science elle-même.
Mais, de la réflexion sur les trois ordres, d'autres conclusions se tirent aussi. S'il est impossible de passer d'un ordre à l'ordre supérieur sans acquérir un supplément d'être, l'ordre supérieur embrasse l'ordre inférieur en le dépassant. Ainsi, lorsque la science se mue en technique ou sert d'instrument de puissance, elle n'est plus fin, mais moyen ; elle n'est plus régie par les normes qui conviennent à l'ordre des esprits, elle obéit à celles de l'ordre des corps. De même, la construction théologique, par laquelle la foi s'efforce de prendre conscience d'elle-même et de se définir, appartient à l'ordre des esprits ; comme l'exercice de la puissance dans l'Église appartient à l'ordre des corps. Mais les ordres inférieurs peuvent et doivent être éclairés par la lumière de l'ordre supérieur, le seul qui ait valeur d'absolu. Cette relation opère une sorte de salut. C'est la charité qui donne vie à la construction théologique, et qui introduit dans l'Église conçue comme société une véritable communion. Il appartient aussi à la charité d'apporter une norme à l'activité scientifique, seul moyen d'en faire échapper l'exercice à la concupiscence de la curiosité, et surtout les applications à la mise en œuvre d'une aveugle volonté de puissance. La charité est norme universelle, pour la science, pour la culture, et même pour la foi.
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