Pour juger les vivants et les morts

Gustave MARTELET
Le jugement dernier - n°57 Janvier - Février 1985 - Page n° 6

 

AVEC sa descente aux enfers, le jugement des vivants et des morts par le Christ semble être un des articles du Credo les plus discrédités aux yeux du croyant irréfléchi que nous risquons toujours d'être ou de devenir, à quelque moment de notre vie, sur un point plus ou moins important de la foi. Les enfers, disons-nous alors, relèvent du mythe ; quant au jugement, qu'il soit particulier ou général, il apparaît comme la trace d'un « surmoi », privé ou collectif, projeté jusqu'en Dieu au terme de l'histoire de chacun et de tous, à moins qu'il ne passe pour l'ultime atteinte imposée à notre autonomie par des étroitesses humaines introduites dans la Révélation.

Tout le texte, 6-7, est joint

Acceptons l'existence et parfois le succès de représentations médiocres ou d'explications à demi erronées ; acceptons aussi les évasions ou les peurs qu'un recours mal compris au jugement de Dieu peut provoquer en nous au sujet des responsabilités qui sont les nôtres et que Dieu même exige, ratifie ou pardonne... On pourrait multiplier les exemples étranges qu'historiens ou analystes nous fourniraient en grand nombre — et parfois ils ne nous en offrent que trop. Qui ne voit en effet qu'on ne saurait purifier l'expression de la foi en la vidant, par ironie, de tout objet ? La foi est toujours plus profonde que les caricatures qu'on eri fait ou les abus qu'on se permet. Par ailleurs, le coeur de l'homme et l'histoire elle-même, comprise ici comme l'ensem­ble de tous les êtres humains, ont besoin de cette vérité que le Christ, en jugeant les vivants et les morts, sera. De fait, y a-t-il un coeur humain qui pense être saisi entièrement, soit en bien, soit en mal, par un jugement lui-même tout humain ? Quant à l'histoire, sans lumière divine la traversant de part en part, serait-elle jamais autre chose que le lieu des apparences et de leurs incertitudes bien souvent mensongères ?

Donc, s'il y a dans le coeur de tout homme un besoin incoerci­ble de vérité et de justice, c'est bien sûr dès le temps de l'histoire, mais aussi au moment terminal du monde, quand, toute bouche ayant été fermée à tout mensonge par le dernier trépas, la pure voix du Verbe, parlant de sa bouche de gloire, pourra enfin se faire entendre... Que nous ne soyons jugés alors que par Toi et

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que Tu sois, au terme, en Ton amour — mais que serais-Tu sans cet Amour ? — le seul arbitre de ce monde, non pour le condamner dans les pécheurs que nous aurons été, mais pour vouer au néant le mal et le péché que nous aurons déjà, grâce à Toi, désavoué chacun pour soi, mais que nous renierons tous ensemble, ruisselant du regret d'avoir méconnu Ta splendeur !

Le jugement, c'est donc d'abord cet ultime baptême de vérité, de repentir et de justice, qui dans le Christ glorieux nous vérifie et nous épure une dernière fois et pour toujours : un à un tout d'abord et finalement tous ensemble, de sorte qu'avant d'être pleinement glorifiés — que la totalité innombrable des hommes, si possible, le soit ! —, nous entrions dans cette humilité radicale sans laquelle la Gloire reçue serait pour chacun et pour tous une gloire volée.

Redira-t-on jamais assez que pareil jugement vérificateur de l'homme et de l'humanité, le Père l'a remis au Fils, afin que tous « l'honorent comme ils honorent le Père»? La « concentration christologique », comme on dit, trouve dans ce mot de Jean — n'y eût-il que lui — sa justification suffisante. Le désir du Père est que le Fils soit traité en Seigneur au terme de l'histoire comme en tout son parcours. Quoi de plus naturel ? Lui qui, en tant que Fils, comme Verbe et comme Christ aussi, est les assises éternelles de la création tout entière, doit être présent à l'achèvement de celle-ci, comme mesure sans appel du monde et de l'histoire. Il faut qu'aucune liberté, qu'elle soit des hommes ou des anges, n'échappe à l'emprise purificatrice du Fils et ne bénéficie de sa béatitude qu'en fonction de l'accord déclaré qu'elle aura avec le seul Fondement de la filialité à l'égard de Dieu et de l'amour réel à l'égard des autres.

Alors s'achèvera aussi toute attente de gloire, à laquelle le Christ lui-même s'est soumis. Il ne veut en effet atteindre sa plénitude que, lorsqu'ayant tout «remis à son Père» (cf. 1 Corinthiens 16, 24), il sera lui-même pleinement glorifié comme Fils, en voyant à quel point le Père sera pour tous les autres ce qu'il est dans l'Esprit pour le Fils, lui qui comblera pour tou­jours ses propres créatures à la mesure sans mesure de l'éternel

et unique Engendré.                          Gustave MARTELET, s.j.

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