Jérôme THÉLOT
Art et Créativité
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n°216
Juillet - Aout
2011 - Page n° 42
Le photographique, entendu comme la condition transcendantale de la photographie, est le primat accordé, d’une part, à l’espace étendu, d’autre part à la subjectivité réduite objectivement à un point de vue géométrique, enfin au postulat que tout phénomène est par essence visible. La métaphysique du vérisme photographique est donc celle qui fait l’essence de la modernité, à savoir la réduction galiléenne. Si bien que l’autre vérité, celle qui n’est pas du monde, la vérité non visible des individus réels, en toute photo brille par son absence.
Pour servir d’illustration aux analyses proposées ici, considérons d’abord le visage de Baudelaire tel que Nadar l’a photographié en 1862. Devant ce visage, il est loisible de poser la question de la vérité selon la photographie, et cette question se formule comme suit : quel est le rapport entre cette image, cet ensemble de noirs et de blancs, cette surface plate de valeurs sombres et claires, – et Les Fleurs du Mal, et Le peintre de la vie moderne, et Le Spleen de Paris ? Puis, pour servir d’épigraphe accompagnant cette image, et pour introduire à la question de l’adéquation entre la représentation photographique et l’être qu’elle représente, voici un propos de Jean Paulhan, dont Gérard Macé a fait l’épigraphe d’un beau livre : « Il faut avertir dès maintenant nos petits-fils que nous n’avons rien de commun avec les tristes images qu’ils garderont de nous1. » Baudelaire, de même, il faut en avertir nos contemporains, n’a rien de commun avec cette image que nous avons gardée de lui.
À supposer, en effet, qu’un poète soit un individu réel, c’est-à-dire un individu vivant, souffrant, se réjouissant, éprouvant sa vie comme intériorité, et à supposer qu’il soit, puisque poète, quelqu’un en qui cette vie s’accomplit en paroles, quelqu’un dont l’émotion se produit en diction, alors, certes, une photographie d’un poète, aussi vériste qu’on la voudra, ne peut qu’ignorer ce qu’elle prétend représenter : car rien dans l’image photographique ne demeure ni ne peut demeurer de la jouissance du vivant, rien de sa souffrance, rien de sa [...]
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1. G. Macé, La mémoire aime chasser dans le noir, Paris, Gallimard, 1993, p. 13.
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