Kénose, compassion et miséricorde chez Simone Weil

Emmanuel GABELLIERI
Il s’est anéanti - n°242 Novembre - Décembre 2015 - Page n° 109

Si l’on sait depuis longtemps le lien qui s’est opéré dans l’itinéraire spirituel de S.Weil entre l’expérience de la compassion (à travers notamment la condition ouvrière en 1934-35) et la découverte de la Passion du Christ (lors des « trois contacts avec le catholicisme » de 1936-38), on sait moins combien un des sommets de cet itinéraire réside dans la méditation, pendant la guerre, de l’Hymne aux Philippiens de saint Paul. « Se dépouiller de sa divinité » y devient en effet le modèle d’une imitatio Chrisi passant par la « dé-création » et la « re-création » de soi par la grâce, en même temps qu’il est la révélation d’un « Amour surnaturel » qui est don total de soi et révélation de la « Miséricorde » divine. »1

 

Compassion et Passion

En 1935, faisant part à son amie Albertine Thevenon des conditions inhumaines du travail à la chaîne qu’elle vient de connaître lors de son expérience ouvrière, Simone Weil ajoute à la fin de sa lettre : « Et à travers tout ça un sourire, une parole de bonté, un instant de contact humain ont plus de valeur que les amitiés les plus dévouées parmi les privilégiés grands ou petits. Là seulement on sait ce qu’est la fraternité humaine2. » Sept ans plus tard en 1942 à Marseille, avouant au Père Perrin la rencontre du Christ « de personne à personne » qui fut la sienne fin 1938, et insistant sur le fait que « ni les sens ni l’imagination n’ont eu aucune part », elle ajoute : « j’ai seulement senti à travers la souffrance la présence d’un amour analogue à celui qu’on lit dans le sourire d’un visage aimé3. »

Cette «  analogie du sourire » participe de ce que nous avons proposé d’appeler, en écho à G. Siewerth et H. U. von Balthasar, la « métaphysique de l’enfance » de Simone Weil4, laquelle prend une dimension métaphysico-théologique dans les grands textes de Marseille, où « la beauté du monde […] se laisse apercevoir par nous à travers la beauté sensible, comme un enfant trouve dans un sourire de sa mère, dans une inflexion de sa voix, la révélation de l’amour dont il est l’objet5. » Car « la beauté du monde c’est le sourire de tendresse
du Christ pour nous à travers la matière6. » [...]

 

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1 Abréviations des oeuvres de Simone Weil. Nous citons de préférence dans l’édition critique des OEuvres complètes (OC).

OC : OEuvres Complètes, Paris, « Nrf », Gallimard, 1988 -….
AD : Attente de Dieu, Paris, Fayard, 1966.
C I-III : Cahiers, Paris, Plon, 1970-74.
CO : La Condition ouvrière, « folio essais », 2002.
CS : La connaissance surnaturelle, Paris, Gallimard, 1950.
IPC: Intuitions pré-chrétiennes, Paris, Fayard, 1985.
PSO : Pensées sans ordre sur l’amour de Dieu, Paris, Gallimard, 1962.

2 CO 60-61.

3 AD 45.

4 Voir notre étude « Enfance du monde et Jeu de l’Amour. Sur la ‘Théodramatique’ de Simone Weil », Théophilyon, VI 2, 2001, p. 429-50. 

5 OC IV 2, 178 (IPC 38).

6 OC IV 1, 303 (AD 154).


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