Méditation sur la Béatitude

C'est par la fidélité cachée que la multitude des saints anonymes se charge du fardeau du Christ, « doux et humble de coeur ». Cette douceur ne se confond pas avec la non-violence, elle est issue de la force même de l'Agneau immolé, qui témoigne, par sa résurrection, de l'invincibilité des victimes et de la force décisive de leur faiblesse.

Si l'on fait abstraction des bizarreries d'Édouard Dhorme (« Magnifiques, les... ») et d'André Chouraqui (« En marche ! »), la traduction des Béatitudes est à peu près uniforme : « Heureux les doux», pour la seconde, que certains manuscrits intervertissent avec la troisième, mettant la douceur après l'affliction (le Novum Testamentum de Nestle, salomonien, échange les places du grec et du latin).

Louis Segond se distingue en traduisant « débonnaires », ce qui tire vers bonasses et trahit complètement la référence sous-jacente. Le grec dit praeis, dont la juste nuance est bien l'attitude de douceur, le caractère traitable, sur fond de modestie et de discrétion. Un commentateur annote : les non-violents, ce qui est oiseux et serait tendancieux s'il ne s'agissait du bon vieux Crampon. La seconde Béatitude suit donc le droit fil de la première, vouée aux anawîm d'Israël, sur lesquels toute une littérature nous renseigne. C'est pourquoi les doux deviennent pour Chouraqui les humbles, ce qui est toujours mieux que les «humiliés du souffle » au lieu des pauvres en esprit. À vrai dire, les huit Béatitudes répètent la même chose : c'est seulement l'incidence qui change, la visée s'adresse à un certain état du disciple, une manière d'être copiée sur le Maître qui parle (une parole où Hegel, ô surprise, a vu moins un enseignement qu'une sorte de transport mystique). 

Les doux posséderont la terre, ils auront la terre en partage, en héritage, avec un écho du Psaume XXXVI et un beau mot grec, klèronomèsousin. C'est évidemment la Terre promise, leur récompense est ce renversement inouï des valeurs, grâce auquel le Royaume rassemblera les oubliés, les méprisés, ceux qui ne comptent pas aux yeux du monde et des médias. Ils entreront en rangs serrés, avec leurs pauvres avoirs, leurs hardes et [...]

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