Monsieur Jean-Luc MARION
Sauver la nature?
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n°272
Novembre - Décembre
2020 - Page n° 63
On ne peut pas protéger la nature car cette entreprise suppose encore sa domination par l’homme, donc une approche technique, certes utile, mais non suffisante. Il faudrait plutôt apprendre à la voir comme une création qui, comme nous les hommes, n’a de sens que dans son rapport à Dieu. Le changement de paradigme, en particulier sur le temps, que constatent les sciences physiques, permet de soumettre la nature et nous également à une vision eschatologique de notre commun destin.
I
La crise écologique ne tombe pas du ciel, même si elle s’y fait bien voir, entre autres symptômes, par le dérèglement climatique. Il ne s’agit pas même d’une catastrophe naturelle, simplement globale et devenue systémique. Les affairements idéologiques, les bricolages technologiques et les récupérations économiques restent à l’évidence très en deçà de l’enjeu et en masquent même le sérieux, comme autant de divertissements. Ses caractères à la fois incontestables mais indéfinis devraient plutôt nous y faire reconnaître un phénomène saturé : un phénomène où l’excès d’intuition (d’images, d’informations, de faits, de data, etc.) surpasse et de loin tout ce qu’un concept ou un ensemble de concepts pourrait constituer en un phénomène objectivable. En fait, il ne faut rien de moins que la philosophie pour en analyser l’origine et rien de moins que la théologie pour tenter d’y faire face correctement. L’importance de l’encyclique Laudato si a tenu, entre autres, à la reconnaissance de la conjonction de ces deux dimensions : la clameur des pauvres et la misère de la terre vont de pair ; l’une et l’autre croissent en proportion directe et l’exigence théologique de la première se mesure concrètement à l’aune de la seconde.
II
La crise écologique constitue une des preuves les plus patentes de la fin de la métaphysique dont elle relève au premier chef. Sans cette mise en perspective, elle reste énigmatique et mal comprise. Elle accomplit en effet la disqualification d’un des trois « objets » privilégiés de la metaphysica specialis.
Reprenons ceux-ci. La métaphysique (classique, c’est-à-dire moderne) admettait trois « objets » privilégiés, Dieu, l’âme et le monde, ne serait-ce que pour suivre la liste qu’en rappelle Kant. En fin de parcours, la theologia rationalis n’a pu penser Dieu qu’en le reconduisant à la « mort de Dieu », parce que tout ce qu’elle pouvait en dire rationnellement (soit comme causa sui, soit comme l’étant suprême, soit comme le fondement de la moralité) revenait à une des idoles conceptuelles dont Nietzsche a constaté le crépuscule. [...]
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