En première approche, la Bible se positionne à côté du régime normal de l’apparition des êtres. Elle fait le choix du paradoxe, mais pour nous faire découvrir que c’est nous-même qui sommes à côté de l’apparition de Dieu. Tel est le prix à payer, le signe de contradiction renversant notre raison mondanisée pour nous faire accepter la rigueur de l’amour divin.

Le secret des paradoxes

La Bible pourrait bien livrer un accès au paradoxe qui ouvrît aussi soudainement à son essence la plus profonde. Car un fait saute aux yeux : partout, en elle, le « paradoxe » appartient à la manifestation, il est le chemin de son accomplissement. L’Évangile de Luc l’indique dès le commencement du récit qui consigne l’enseignement de Jésus et les premières œuvres qu’il opéra alors, quand « la puissance du Seigneur » commença à lui faire « opérer des guérisons » (Luc 5, 17). L’une d’entre elles, la guérison du paralytique, est précisément accomplie, devant les Pharisiens et les docteurs de la Loi, pour attester la puissance qui est la Sienne ¹, et qui, elle, demeure invisible, de « remettre les péchés » : « pour que vous sachiez que le Fils de l’Homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés » (5, 24). C’est alors une puissance, pleinement visible, éclatante même, qui manifeste une autre puissance plus grande encore, mais qui n’apparaît jamais elle-même, une puissance retirée, mais placée sous un nom, celui du « Fils de l’Homme », qui établit Son « autorité », Son exousia, non seulement au ciel, mais sur la terre ². Les mots que Luc écrit à cet endroit de son évangile, nous devons les recueillir et les étudier comme indiquant, une fois pour toutes, l’essence du paradoxe au cœur de la manifestation : « Tous furent alors saisis de stupeur et ils glorifiaient Dieu. Ils furent remplis de crainte et ils disaient : “Nous avons vu d’étranges choses aujourd’hui !” » (5, 26) ³.

Le premier trait attesté ici est décidément celui qui ordonne rigoureusement le paradoxe à la manifestation : le paradoxe est une structure de l’apparaître lui-même, selon laquelle apparaît ce qui jamais n’apparut, devient visible, dans le règne de toute visibilité, c’est-à-dire dans le monde, ce qui jamais ne fut vu, selon un apparaître qui...

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 1 Lorsqu’il s’agit précisément de Dieu en tant que Seigneur, nous suivons, avec les majuscules aux pronoms personnels ou aux pronoms et adjectifs possessifs, la manière du théologien Erich Przywara dont il sera question plus loin.

 2 On se reportera sur ce point à Heinz SCHÜRMANN, Das Lukasevangelium, 1. Teil, Herders theologischer Kommentar zum Neuen Testament, Sonderausgabe, Freiburg, Herder, 2001, p. 284. Dans notre contribution, le texte grec est celui de Nestle-Aland, Novum Testamentum Graece, Stuttgart, Deutsche Bibelgesell- schaft, 28. revidierte Auflage, 2012. La traduction est celle de la Bible de Jérusalem, avec quelques modifications. 

 3 Καὶ ἔκστασις ἔλαβεν ἅπαντας καὶ ἐδόξαζον τὸν θεόν καὶ ἐπλήσθησαν φόβου λέγοντες ὅτι εἴδομεν παράδοξα σήμερον.