Des contrastes inattendus et des conjonctions surprenantes caractérisent le langage, et même la vie, de saint Jean de la Croix. Après avoir proposé un modèle d’interprétation de son œuvre, Iain Matthew examine cinq de ses caractéristiques paradoxales.

Les structures du paradoxe chez saint Jean de la Croix

Juana de Padreza avait connu le frère Jean de la Croix à Grenade dans les années 1580. Après que ce dernier fut reparti dans la lointaine Castille, Juana, alors âgée de vingt-cinq ans, ressentit intensément cette perte. Se sentant abandonnée et désorientée, elle lui écrivit pour le lui dire. La réponse de Jean commence par une affectueuse remise en question de ses reproches : « Il ne me manquait plus vraiment que de vous oublier ! Et comment oublier une personne gravée comme vous l’êtes dans mon cœur ? » Il identifie ensuite sa souffrance : « Comme vous êtes plongée dans les ténèbres et dans le vide de la pauvreté spirituelle, vous vous figurez que tout le monde et toutes choses vous abandonnent. » Pour Jean, la désorientation et l’isolement ressentis par Juana sont donc le symptôme d’un sentiment plus profond de solitude. Tout est désagréable et désordonné, parce que son Dieu lui semble lointain. Ce sont ces ténèbres, ce sentiment d’être abandonnée par Dieu, que Jean considère comme sous-jacents au reste. Il poursuit : « Rien ne vous manque, et vous n’avez pas besoin de demander conseil [...] parce que vos craintes sont chimériques. Celui qui ne veut que Dieu ne marche pas dans les ténèbres, quelque pauvre et privé de lumière qu’il pense être ¹. » La lettre se poursuit de façon à la fois brillante et affectueuse, mais ces lignes mettent déjà en évidence l’intuition de Jean sur la nature paradoxale de la croissance spirituelle, à savoir que le processus de transformation par l’amour de Dieu peut donner le sentiment d’être abandonné.

La même chose est exprimée avec force dans les livres de La Nuit obscure: « Lors donc que tu verras tes appétits obscurcis, tes affections sèches et angoissées, tes puissances réduites à l’incapacité par rapport à tout exercice extérieur, ne t’afflige aucunement, réjouis-toi au contraire. Dieu par cette voie te délivre de toi-même » (NO II, 16, 7 p. 1026)....

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 1 L 35, 12 octobre 1589, p. 1586. Les citations de Jean de la Croix proviennent des Oeuvres complètes, trad. de Mère Marie du Saint-Sacrement, Cerf, 1990. Nous suivons les abréviations usuelles : CSA et CSB : Cantique spirituel A et B ; L (Lettres) ; MC (Montée du Carmel) ; MONTE (Monte Carmelo) ; NO (Nuit obscure) ; PA (Paroles de vie et d’amour) ; PO (Poèmes) ; VFA et VFB (Vive Flamme A et B).