Rire d’admiration− La joie chrétienne

La modernité lie le rire à la passion fondamentale de l’admiration en soulignant le rôle de la surprise, ce qui permet d'aboutir, selon un schéma mécaniste, à l'idée que le rire soit causé par le sentiment d’un ridicule. Mais ne s’étonne-t-on que de ce qui est risible et ridicule ? Il existe une tradition patristique− Augustin, et  Grégoire le Grand  − qui lie le rire à l’admiration comprise cette fois comme l'expression d’une joie devant la grandeur de Dieu. Les auteurs médiévaux  se sont ensuite demandé si l’on rirait vraiment dans la vie éternelle.

Le rire d’admiration : la joie chrétienne Perspective médiévale

On pense souvent que le rire est dédaigné par la pensée médiévale, qu’elle s’en méfie ¹. Le célèbre livre d’Umberto Eco nous a souvent convaincu de l’archaïsme typiquement médiéval de la position du vieux moine Jorge, le bibliothécaire fanatique du monastère bénédictin, qui veut à tout prix éviter que soit connue l’unique copie de la seconde partie de la Poétique d’Aristote, qui ne nous est en effet jamais parvenue (mais a-t-elle existé ? Les érudits sont partagés), et qui aurait été consacrée à la comédie. Jorge voit dans le rire le signe du péché : « Que le rire soit le propre de l’homme est le signe de nos limites de pécheurs ². » Face à lui, le jeune et brillant franciscain, Guillaume de Baskerville, incarne un christianisme ami des sciences et du rire, tolérant et moderne. Les historiens contemporains présentent également majoritairement le rire médiéval comme le fait des carnavals et de la littérature ³. Le Roman de Renart, les cycles arthuriens de la Table ronde, ou bien les fabliaux et les contes sont les œuvres dans lesquelles s’exprime le rire et dans ces œuvres on s’intéresse généralement à sa fonction essentiellement transgressive ⁴. Un certain nombre de textes soutiennent d’ailleurs une telle idée. Ainsi d’Eusèbe Gallican, auteur fictif de sermons de l’Antiquité tardive, qui sont une compilation d’auteurs latins (Ambroise, Augustin, Hilaire, etc.), à moins qu’il faille voir dans cet auteur plusieurs auteurs du Ve siècle : quoi qu’il en soit, il exprime l’opinion de nombreux auteurs lorsqu’il écrit : « Que le chrétien pose une garde sur la bouche de son cœur ; qu’il s’occupe une partie de la nuit et du jour à gémir et prier ; qu’il renonce au rire (risus), à la plaisanterie (iocus), à la bouffonnerie (scurrilitas) ⁵. » C’est pourquoi l’opinion la plus répandue est que si l’on rit au Moyen-âge, c’est contre une règle, chrétienne, qui l’interdit plus ou...

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 1 Voir J. HOROWITZ, S. MÉNACHE, L’humour en chaire. Le rire dans l’Église médiévale, Genève, 1994 ; G. MINOIS, Histoire du rire et de la dérision, Paris, 2000 ; J. DELUMEAU, Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident, XIIIe - XIIIe siècles, Paris, 1983.

 2 U. ECO, Le nom de la rose, Paris, 1982, p. 480.

 3 . H. BRAET, G. LATRÉ, W. VERBEKE, Risus mediaevalis. Laughter in Medieval Literature and Art, Leuven, 2003.

 4 Voirpar exemple J.-R.VALETTE, « Le rire et le corps. Éléments d’esthétique médiévale (XIIe -XIIIe siècle) », dans Esthétique du rire, dir. A. Vaillant, Paris, 2012, p. 26 sq

 5 Eusèbe GALLICAN, Coll. Hom. 8, CCSL 101.