Santo riso− Le rire dans l’œuvre de Dante

  Selon Dante, l’âme de celui qui rit se révèle dans son rire. Il y a ainsi une bonté du rire humain, qui est d’ailleurs pratiquement absent de l’enfer dans la Divine comédie. L’humour  bon enfant, révèle l’humilité du rieur, capable de rire de lui-même et de l’humaine comédie. Davantage, le rire et le sourire nous montrent le chemin vers la béatitude et expriment aussi la bonne nouvelle chrétienne, quand il se fait risus paschalis.

L’observateur passionné du monde sous tous ses aspects qu’est Dante Alighieri nous a laissé une définition mémorable du rire. Nous la trouvons dans le Banquet, un traité philosophique singulier que Dante a élaboré sous la forme d’un commentaire de ses propres poèmes. Le dispositif central de cette œuvre (restée inachevée) est l’allégorie : les chants présentant l’éloge de la femme aimée sont interprétés comme des évocations de Dame Philosophie, dans la lignée de la Sagesse biblique et de la Consolatio de Boèce. Dans l’un des chants, il est question des « joies du Paradis » que cette femme offre « en ses yeux et en son doux rire ¹ ». Selon l’autocommentaire de Dante (III, 8, 6-12), le visage est la partie du corps où l’esprit humain se manifeste de la manière la plus éminente, au point qu’il n’y a pas de visage semblable à l’autre (7) – observation à méditer à l’heure des images générées par l’intelligence artificielle. Pour leur part, les yeux et la bouche sont comme des « balcons » ou des « fenêtres » de l’âme, « car là, bien que presque voilée, elle se montre souvent (9) » ; « les trois natures de l’âme » (selon la doctrine d’Aristote : l’âme végétative, c’est-à-dire la vie purement biologique, la « sensibilité » et le psychisme animal, et l’intellect) « exercent leur juridiction (8) » sur eux. Dans la bouche, en particulier, l’âme se manifeste « presque comme une couleur derrière le verre (11) » – je pense au verre antique, dans lequel la transparence n’est pas totale et où, par conséquent, la texture du verre lui-même contribue à donner une tonalité unique à l’image. Or c’est précisément le lieu du rire, que Dante définit en ces termes :

Qu’est-ce que le rire, sinon un éclair de plaisir [de l’âme] (una corruscazione de la dilettazione de l’anima), c’est à dire une clarté (lume) de l’extérieur conforme à ce qui est à l’intérieur ? Aussi, pour montrer une âme à l’allégresse modérée, l’homme doit-il rire modérément, avec une honnête sévérité et peu de mouvement de son visage [...]. Le Livre des quatre vertus cardinales commande de faire...

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 1 Banquet, III, chant liminaire, v. 56-57. Le Banquet est cité à partir de Dante, Œuvres complètes, éd. Christian Becq, Paris, Librairie générale française, coll. « Pochothèque », 1996