Le père Serge Bonnet

Grande liberté, soumission à Dieu et amour des hommes : à l’occasion du centenaire de la naissance du Père dominicain Serge Bonnet (1924-2015), historien du mouvement ouvrier lorrain et défenseur de la  religion populaire, l’écrivain et académicien Daniel Rondeau lui rend hommage.

Le Père Serge Bonnet

Serge Bonnet ! Milieu des années 70. Il n’était pas de semaine alors sans que l’on me presse de le rencontrer. Après la dissolution de la Gauche Prolétarienne, le 1er novembre 1973, et mes adieux à la fraternité en noir et blanc du chantier, dans le brouillard qui suivait notre effacement volontaire, ma vocation d’écrivain avait refait surface. J’avais décidé que si je ne pouvais pas changer le monde, j’allais le raconter. Dès cet instant, je me suis préparé à passer ma vie sur l’arche de papier que j’allais m’employer à construire. Mon premier livre, Chagrin lorrain, entendait parcourir l’histoire des ouvriers lorrains. Écrire ne me séparait de personne et surtout pas de ceux dont j’avais partagé la vie dans les usines des bords de la Moselle. Tous ceux à qui je parlais de mon projet me répondaient : « Il faut que tu voies le Père Bonnet ! » « Pas question ! » Je ne sais quel esprit de contradiction mêlé d’un fond d’arrogance m’avait fait refuser toutes les propositions de rendez-vous avec ce Dominicain, proche de Raymond Aron et de Philippe Ariès, que la rumeur publique qualifiait uniment de pilier de l’histoire ouvrière, aux côtés de Madeleine Rebérioux et de Michelle Perrot. Pourtant, un jour d’avril 1978, convié à déjeuner au Chapon fin, près de la place Stanislas, à Nancy, j’aperçois l’ami qui m’avait invité en grande conversation avec un homme à la haute stature et aux cheveux plus poivre que sel, debout dans sa grande robe blanche dominicaine. « Je te présente le Père Bonnet » », me dit alors ce petit -fils d’un ancien maitre de forges. Dix minutes plus tard, j’avais rendu les armes de ma prévention devant le charme espiègle et érudit du Dominicain qui venait de décider qu’il fallait, avant toute chose, choisir le vin qui présiderait à notre rencontre.

*** Quelques jours plus tard, c’était un premier mai et je m’en souviens, il pleuvait. J’avais écouté à la radio des informations qui n’étaient guère réjouissantes. Alain Geismar pataugeait dans la nostalgie bêtifiante de 68 au club de la presse d’Europe 1. Le petit fils de Maurice Thorez croyait intelligent de se royaumer au Congrès de la Nouvelle Action française. Edmond Maire se déclarait fatigué d’avoir trop parlé avec Raymond Barre. Sortant de chez moi avec le cœur en demi-berne, j’avais trouvé un carton déposé sur le pas de la porte de la maison où je vivais, dans les hauteurs d’un village lorrain. Sur le carton, il était écrit au feutre noir : A DR, pour son premier mai, Salut et fraternité. Père Serge Bonnet, op.Àl’intérieur, une douzaine de bouteilles de Bourgogne ou de Bordeaux, emballées dans de vieux exemplaires de L’Humanité, tous datés du premier mai d’années différentes. Cette offrande matinale était d’une certaine façon, la première leçon que j’ai reçue de Serge : l’importance du pain et du vin pour ceux qui voudraient partager des chemins pèlerins. « Le vin est le chef d’œuvre de l’homme qui...

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