Une vertu dangereuse

Si la vertu de force est dangereuse, ce n’est pas seulement à cause de la violence qu’elle peut impliquer. La force du chrétien, parce qu’elle est celle de Dieu même, remet en cause les valeurs du monde, mais pour que l’homme, face à la pesanteur des institutions, participe de la liberté même du Christ. 

La force ne vient qu’en troisième position dans l’ordre des vertus, après la prudence et la justice, mais on peut se demander si elle n’est pas la plus dangereuse.

Dangereuse pour ceux qui s’efforcent de la pratiquer, assurément. Ce n’est pas par hasard que la tradition chrétienne en fait la vertu éminente des martyrs. Saint Thomas d’Aquin dit que « le martyre est un acte de force ». Et il poursuit : « la force a pour fonction de rendre inébranlable dans la vertu, malgré les dangers, surtout les dangers de mort, et plus particulièrement ceux qu’engendre la guerre. Or dans le martyre, nous voyons cet attachement inébranlable à la vertu, à la foi et à la justice, en dépit de la mort imminente » . La menace de la persécution met, de manière toute spéciale, à l’épreuve la vertu de force. On s’étonne habituellement de voir le Christ traiter saint Pierre de Satan, quand ce dernier veut l’empêcher de monter à Jérusalem après qu’il a annoncé sa passion (Matthieu 16, 23). À aucune autre occasion, le Seigneur ne traite quelqu’un ainsi. On peut penser que cette véhémence étonnante est à la mesure de l’extraordinaire effort qu’il doit faire sur lui-même pour ne pas se dérober au destin tragique dont il a la prescience, pour marcher droit vers cette ville où des haines sans pareilles se  sont accumulées contre lui. Un effort dont l’Évangile nous renvoie un écho encore plus émouvant au cours de la nuit d’agonie. [...]

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