Gilles COINDREAU
Le sacrifice eucharistique
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n°59
Mai - Juin
1985 - Page n° 16
Gilles COINDREAU
Les chrétiens ont accès à un culte « spirituel », seulement parce que leur église est née d'un sang très concrètement versé.
ON sait de Julien (« l'Apostat »), l'empereur philosophe, premier de tous les convertis au paganisme, qu'il projeta la reconstruction du temple de Jérusa - lem, qui aurait rétabli, au centre du judaïsme, les immola - tions sacrificielles qui, après les catastrophes de 70 et 135, ne pouvaient que s'effacer de la vie quotidienne de la piété juive. On sait, d'autre part, que Julien aimait à offrir quotidiennement aux dieux, et au Grand Dieu de la spiritualité du moyen et du nouveau platonisme, des sacrifices d'animaux — et il ne manque pas d'accuser les chrétiens, aux cultes et rites non sanglants, de s'interdire d'honorer une dimension fondamentale de l'expérience religieuse. A un pieux philosophe, en qui les élégances intellectuelles de la Grèce et de Rome trouvent un héritier soucieux de défendre et d'illustrer les grandeurs de son paganisme, le sacrifice apparaît comme une activité liturgique, ou liturgico-mystique, indispensable. La respectabilité intellectuelle ne paraît pas exiger de Julien une spiritualisation du sacrifice (interprétation morale ou moralisante qui y discernerait d'abord une conduite d'abnégation, une disposition à « se sacrifier» pour quelqu'un ou quelque chose, etc.), et la piété philosophique fait bon ménage avec la pratique la plus réalistement ritualiste du sacrifice. En fait et en droit, le philosophe païen a-t-il raison de reprocher au christianisme la modicité extrême de son rapport au sacrifice et au sacrificiel ? On gagne assez vite l'impression que les chrétiens sont contemporainement mal à l'aise avec le langage sacrificiel, et avec les réalités qu'il désigne. Ils n'ont pas tout à fait tort. Le plus bref coup d'oeil à l'Ecriture convainc que la sémantique néotestamentaire du sacrifice n'est ni très développée, ni très présente. A côté de 428 emplois vétéro-testamentaires de «sacrifice» dans la Bible de Jérusalem et de 74 emplois de « sacrifier » (une concordance française suffit ici à indiquer la question), l'on rencontre en tout et pour tout 32 occurrences de « sacrifice » dans le Nouveau Testament. Le terme de sacrifice n'apparaît sur les lèvres de Jésus que dans sa reprise de la polémique prophétique contre le ritualisme du Temple (Matthieu 9, 13 ; 12, 7 ; Marc 12, 33). Il peut ne désigner que les sacrifices légaux de la liturgie de Jérusalem (Luc 2, 24). Il peut désigner les sacrifices païens (Actes 7, 41 ; 14, 13 ; 14, 18 ; 1 Corinthiens 10, 28). Il faut prendre en considération l'Épître aux Hébreux (19 occurrences) pour trouver dans le corpus néo-testamentaire une théologie à l'aise dans la sémantique du sacrifice, interprétant systématiquement le Vendredi Saint en termes sacrificiels, et interprétant christologiquement la dimension sacrificielle de l'expérience liturgique d'Israël. L'auteur anonyme des Hébreux n'est certes pas un déviant : sa théologie est tout entière contenue in nuce dans ce que Paul affirme en Romains 3, 25. I1 ne faut pas non plus que les mots ou leur absence cachent les réalités, en l'espèce le lien fondamental, toujours exprimé quand le kérygme chrétien dit son rapport à Israël, entre la Pâque juive du Temple et la Pâque du Golgotha. Mais il n'est tout de même pas sans signification que le Dictionnaire de Théologie Catholique, connu pour sa prolixité, ne consacre que trente colonnes au sacrifice (toutes problématiques christologiques et eucharistiques mêlées). L'absence d'un article « sacrifice » dans l'Encyclopédie de la For (traduction française du Handbuch Theologischer Grundbegriffe édité par H. Fries) n'est sans doute pas un pur hasard de répartition des thèmes. Et faut-il attribuer au laconisme imposé par l'encyclopédisme le paragraphe consacré au sacrifice dans le Nouveau Testament par un Dictionnaire Biblique Universel qui omet purement et simplement d'y mentionner l'Épître aux Hébreux ? Qu'interpréter dans nos réticences devant le sacrifice, et dans la discrétion de l'Ecriture ? D'abord une différence. Les premières communautés chrétiennes n'avaient certes pas le projet d'élaborer une théorie nouvelle du sacrifice qui relègue au rayon des anachronismes l'immolation sanglante de la victime sur l'autel du dieu.
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