Du tragique chrétien : Shakespeare et l'Évangile

La souffrance - c'est ce que la tragédie met en scène. Mais peut-on concevoir un tragique proprement chrétien ? En théorie, les modernes ont le plus souvent répondu non. En fait, Shakespeare répond oui. Le tragique de Hamlet et du Roi Lear ne se comprend qu'à partir d'une double méditation de saint Paul, et Macbeth à partir de Luc 11. La Révélation serait-elle le lieu même du tragique, comme théo-dramatique?

I. Les échecs, les accidents, la douleur et finalement la mort sont souvent qualifiés de «tragédies » par la sagesse populaire (et dans les media). Les doctes, dont nous sommes, discernent une impropriété dans cet usage abusif d'un terme dont la définition est complexe et discutée.' Ce que traduit cette approximation est cependant clair : c'est l'expérience de l'impuissance devant des événements qui font souffrir — surprise d 'autant plus blessante qu'au désagrément et à la frustration éprouvés sur l'instant s'ajoute la découverte angoissante de forces supérieures, mystérieuses et hostiles, qui soulèvent des questions sans réponse sur le sens de l'existence.

1. Les tragédies unanimement reconnues dignes de ce nom, celles qui relèvent de la littérature et appartiennent au patrimoine culturel, ne font à vrai dire que formuler ces questions dans toute leur rigueur, à partir de drames exemplaires,  en des textes qui transcendent l'anecdotique de la légende ou de l'histoire. Mais les pénibles énigmes du tragique ne sont pasrésolues pour autant. Car les pièces restent à interpréter, dans tous les sens du mot : elles doivent être mises en scène et jouées ; elles doivent aussi être sans cesse analysées et commentées, parce qu'aucune compréhension n'en est définitive. La lecture et la représentation déploient le problème sans du tout le régler. [...]

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