Les amours des dieux, impressions d'une exposition

Mme Isabelle ZALESKI
Décalogue I: Un seul Dieu - n°99 Janvier - Février 1992 - Page n° 130

Le projet de l'exposition « les amours des dieux » présentée cet automne 1991 au Grand Palais à Paris, est d'illustrer la suprématie de la peinture mythologique entre 1699 et 1791. Cette exposition, sous-titrée : « la peinture mythologique de Watteau à David » rassemble des œuvres qui s'apparentent au « grand genre », mais n'entretiennent pas toujours pour le spectateur contemporain un rapport très clair avec les dieux ni même avec l'amour. Le titre, qui se veut prometteur, dissimule en fait une grande hétérogénéité des sujets. Les commentaires des peintures sont empruntés le plus souvent ? Ovide (dans la traduction de l'abbé Banier), parfois à l'Énéide ou à l'Odyssée. Le choix d'Ovide éclaire d'emblée un aspect majeur du thème ; les amours des dieux sont — parce que coupables —, métamorphiques.

Les vraies amours des dieux

Les premières œuvres décrivent les amours bacchiques. Bacchus et Ariane, cette dernière abandonnée à Naxos par Thésée, sont peints superbement à la manière vénitienne par de La Fosse en 1699. La composition, le traitement des physionomies et des étoffes, le choix des couleurs sont d'une grande élégance, que l'on retrouve dans les autres œuvres de cet artiste. Par contraste, le même thème traité par Bertin et par Antoine Coypel dans une manière plus flamande, semble truculent et un peu vulgaire : Bacchus y apparaît suivi de son cortège de satyres et de bacchantes, saisis dans leur délire et prétexte à des scènes très colorées. La version de De Troy est traitée de manière comparable, et se rattache à l'art de Poussin, dans l'emploi de drapés bleus et rouges notamment. Dans la version de Natoire, au premier plan figure Érigone, jeune Athénienne séduite par un Bacchus métamorphosé en grappe de raisin, s'apprêtant à consommer le fruit. On retrouve, d'une œuvre à l'autre, les éléments de la bacchanale, Mercure sous la forme d'une chèvre, et les panthères tirant le char de Bacchus.

Le thème de l'enlèvement d'Europe est représenté par des œuvres de Noël Nicolas (demi-frère d'Antoine Coypel), de Boucher et de Jean-Baptiste Marie Pierre. Chacune de ces peintures est très représentative du goût de son époque. Coypel (en 1727) respecte scrupuleusement la description donnée par Ovide du taureau-Jupiter qui enlève Europe sur les flots. Les mouvements du dieu, de sa victime et des personnages marins, tritons, et néréïdes, sont superbes. Les néréïdes évoquent les figures marines du tableau peint par Rubens pour célébrer l'arrivée de Marie de Médicis à Marseille et qui devint une référence majeure pour les artistes du temps. Le tableau de Boucher est postérieur (1747). Les couleurs sont plus sombres et plus dures, les mouvements contraints. On peut plus facilement imaginer ici qu'il s'agit d'un enlèvement et non d'amours consenties. Chez Pierre au contraire, la sensation d'apaisement domine. Ce peintre de Louis XVI décrit, dans ce tableau de 1750, un couple presque serein, dans une superbe gamme de bleus, entourés d'élégantes guirlandes de fleurs. Les amours des héros La légende d'Hercule et Omphale est illustrée par quatre œuvres. Hercule, vendu comme esclave est traditionnellement représenté, asservi par l'amour, filant aux pieds d'Omphale. Le tableau de Charles-Antoine (fils d'Antoine) Coypel, de 1731, est sans doute le plus beau. Hercule amoureux file, tandis qu'Omphale tient la massue et a revêtu la peau du lion de Némée. Hercule est jeune, Omphale aimable mais distante. Ce parti pris d'une œuvre mythologique policée et grand genre se retrouve chez Nicolas Hailé, qui, en 1759, dénude un peu Omphale mais la laisse sur son trône. Très différente est l'approche de Boucher (reproduite sur l'affiche de l'exposition). Les personnages sont nus, enlacés sur un lit aux draps froissés, tandis que des putti s'emparent du fuseau et de la peau du lion. L'impression générale assez triviale est renforcée par contraste avec la version de Lemoyne, peinte à la même époque vers 1731-1735. Les rapports amoureux d'Hercule et d'Omphale sont évoqués par la nudité partielle de cette dernière, et les regards qu'échangent les personnages. Toutefois, Omphale tient toujours la massue et se vêt de la peau du lion, tandis qu'Hercule, drapé dans une étoffe blanc et or, continue à filer.

Autre héros volontiers célébré, Persée délivrant Andromède. Celle-ci, enchaînée à un rocher pour expier l'hubris de sa mère Cassiope, va être dévorée par un monstre marin. Persée revenant de tuer Méduse, pourfend le monstre. Le très beau et théâtral tableau de Charles Antoine Coypel représente Andromède dans une mer déchaînée, sous un superbe ciel d'orage. Le traitement de la mer et du ciel est particulièrement grandiose et spectaculaire. L'effet théâtral de l'œuvre est souligné par le traitement du groupe secondaire des parents d'Andromède, Céphée et Cassiope devant un château fortifié qui annonce la mode « troubadour ». Les plus beaux Un beau tableau, inattendu, par de Troy : Zephyr et Flore. Après avoir peint des nymphes peu gracieuses, des satyres aux attitudes improbables, dans des paysages mornes et sous de ternes cieux, de Troy, en 1725 peint un délicieux enlèvement de Flore par Zéphyr. Le dieu du vent de l'Ouest est représenté sous les traits d'un enfant, dont la future reine des fleurs, dans une très gracieuse attitude, tient le menton. Les couleurs froides et sombres (un vert émeraude, un bleu de Prusse rehaussé de blanc) évoquent la peinture napolitaine.

La plus belle surprise de l'exposition est un tableau de Jean Ranc, Vertumne et Pomone, peints entre 1710 et 1720. Nymphe des bois, Pomone interdit son domaine à tout être masculin. Vertumne prend la forme d'une vieille femme et fléchit Pomone en évoquant le souvenir d'un amour malheureux. La beauté des visages, l'élégance de la toilette de Pomone, la fraîcheur des couleurs sont saisissantes. L'ombrelle que tient Pomone permet un superbe effet de contre-jour sur son visage, avec un traitement de la lumière qui annonce Goya et Manet.

Le plus grand (par la taille) et aussi le plus vigoureux est un tableau (en fait un carton de tapisserie) de Nicolas Hailé, la course d'Hippomène et d'Atalante, qui date de 1765. Hippomène est le fils de Mégarée et le petit-fils de Neptune. Atalante a reçu d'un oracle l'ordre de ne jamais se marier. Elle décourage ses prétendants en les défiant à la course, où elle excelle, et faisant mettre à mort les perdants. Hippomène, amoureux d'Atalante, invoque Vénus qui lui remet des pommes d'or. Durant la course, Hippomène lance les pommes, qu'Atalante ramasse, ralentissant fatalement sa course. Épousée sur-le-champ par Hippo-mène, son hymen fut de courte durée car les amants oublièrent de remercier Vénus et furent aussitôt transformés en lions et attachés au char de Cybèle. La composition du tableau, le choix du paysage où se détachent des sapins, ainsi que le type des personnages, qui représentent les nations d'Asie et d'Afrique, rappellent un peu les compositions de Gianbattista Tiepolo. Les physionomies et le groupe de Mégarée sont superbement traités. De l'ensemble de l'œuvre se dégage une impression de dynamisme joyeux, saisi au vol dans une course qui est aussi une pirouette.

Les dieux sans amour

Diane étant par essence la déesse vierge, les œuvres qui la représentent décrivent des amours absentes, malheureuses ou châtiées.

Le bain de Diane a inspiré Watteau, Boucher, Coypel et de Troy. Le Boucher, élégant, est commenté par un texte peu clair de Klossowski. Le même thème, traité par Gros en 1791, n'a sans doute pas sa place dans une exposition consacrée au XVIIIe siècle, tant son canon esthétique s'apparente au XVIe. La « Diane et Callisto » de Boucher précède, dans le déroulement de la légende, celle de Lemoyne. Le premier tableau, un peu mièvre en effet, montre Callisto séduite par un Jupiter métamorphosé en Diane alors que le second représente la découverte, par Diane en colère, de la grossesse de Callisto. Callisto cache son visage, tandis qu'une de ses compagnes écarte l'étoffe qui la recouvre. L'amour châtié est celui d'Actéon qui, dans le tableau de Galloche, franchit le seuil de la grotte sacrée où trône une Diane majestueuse. Le châtiment est déjà en cours, puisque le peintre a représenté les bois du cerf que va devenir Actéon, tandis qu'au premier plan, un personnage, répétant le geste de Diane, invite le visiteur à s'écarter.

A la lisière du sujet

Le sacrifice d'Iphigénie, peint par Jouvenet dans le grand style français illustré par Le Brun, Hector et Andromaque, de Restout, aux atours troubadour, une belle Pénélope de Lemoyne, Narcisse, au bord d'un calme étang, et un Pâris et Hélène anacréontique de David, qui préfigure certains développements mièvres du XIXe siècle sont des rappels de la mythologie mais pèchent par défaut d'amour et de divinité. Enfin, le triple exemplaire d'un moulage d'une statue de Diane, ne semble témoigner que de l'amour du bain. La peinture mythologique est, cette exposition le confirme, un genre difficile, qui souffre d'une ambiguïté théologique et esthétique. Elle pourrait s'apparenter à la peinture religieuse, qui constitue au XVIIe et XVIIIe siècles l'élément fondamental du « grand genre » des arts plastiques. Toutefois, les thèmes mythologiques traités par les peintres de cette exposition sont plus nettement profanes que sacrés. Les scènes d'intimité et de libertinage appartiennent, elles, au « petit genre », mais le libertinage des dieux mérite-t-il plus de respect ? En fait, de même que les dieux païens connaissent un conflit entre leur nature divine et leurs faiblesses humaines, la peinture mythologique hésite, parfois avec bonheur, entre le respect de la divinité et la complicité, voire la complaisance, pour ses aventures.

 

Le catalogue, relié, comporte des textes érudits et des reproductions dont les couleurs laissent à désirer. Il est disponible auprès de la Réunion des Musées Nationaux.

Réflexions sur la peinture mythologique du XVIIIe siècle et sur l'ambiguïté de la double nature, divine et humaine, des dieux païens.

 

 


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