Le cardinal de Lubac : une oeuvre ouverte

R. P. Georges CHANTRAINE
Sciences, culture et foi - n°48 Juillet - Aout 1983 - Page n° 92

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De quelle nature doit être l'adaptation de l'Église aux hommes et aux cultures?  Pages jointes: 92-93

L’ÉLÉVATION au cardinalat du P. Henri de Lubac est à l'évidence un honneur conféré à la personne et, à travers elle, à la Compagnie de Jésus dont il est membre. Elle devrait aussi mettre davantage en lumière une œuvre dont le P. Balthasar a montré admirablement l'organicité [[Le cardinal Henri de Lubac: l'homme et son œuvre, coll. «Le Sycomore», Lethielleux, Paris, 1983.]]. Qu'il suffise ici, pour nous mettre en appétit, d'indiquer quelques pistes.

 

Depuis le Concile, un des problèmes les plus discutés est celui du rapport de l'Église au monde. De quelle nature doit être l'adaptation de l'Eglise aux hommes et aux cultures? L'Eglise ne sera-t-elle pas forcément pluraliste dans un monde qui l'est de fait? Dans nos sociétés occidentales ne sera-t-elle pas obligatoirement démocratique ? Dans une civilisation axée sur le progrès, pourrait-elle éviter d'être progressiste si elle veut rester crédible ? Ces questions bien connues et d'autres semblables agitent les esprits jusqu'à les opposer. On chercherait en vain à les résoudre directement en consultant l'œuvre du P. de Lubac. Il est arrivé que certains se soient trompés ou se trompent en l'annexant à leur propre position ou au contraire en l'opposant à la leur. C'est que cette œuvre n'est pas partisane ; elle n'entend ni faire écho ni donner des arguments ou des gages aux maîtres du jour. Aussi n'est-elle pas dépassée avant d'avoir vu le jour ou plutôt avant d'avoir été conçue. Elle ne s'installe pas sous les feux brûlants de l'actualité ou de la mode, mais trouve sa demeure là où les esprits sont en peine de leur destinée et en recherche de la vérité. Elle ne quémande pas la faveur du public. Elle offre à ceux qui l'acceptent un moyen de communier entre eux.

Est-ce à dire qu'elle se tairait sur les questions qui nous préoccupent? Tout au contraire. Mais elle les aborde de front, en les ramenant à l'essentiel. Ainsi, le rapport de l'Eglise au monde n'est pas d'abord une nécessité que l'Eglise se verrait imposer une fois disparue la chrétienté ; il est d'abord sa mission : l'Eglise est envoyée par le Christ pour annoncer à toutes les nations le Dieu vivant et vrai, manifesté et donné par la Croix glorieuse de son Fils.

L'adaptation aux hommes et aux cultures est dès lors exigée par la mission et mesurée par elle, comme l'a vivement perçu un ami du P. de Lubac, l'abbé Monchanin, à propos de l'Inde. Cette mission est celle de l'Eglise. Elle n'est pas confiée à quelque département des relations extérieures. Elle est confiée à l'Eglise tout entière. C'est donc l'Eglise qui est missionnaire en chacun de ses membres. Elle l'est par. leur pensée (qu'on songe à Teilhard) comme par leurs engagements. Elle l'est aussi dans son organisation interne. Ce qui assure sa cohérence (p.92) intime est précisément ce qui exerce la mission apostolique dans le monde. Les évêques, en effet, successeurs des apôtres, qui par leur collégialité maintiennent et accroissent l'unité de l'Eglise catholique, la dilatent autant que possible, par l'apostolat qu'ils exercent par eux-mêmes, par leurs collaborateurs, les prêtres, et par tous leurs frères dans la foi. Ainsi, c'est de l'intérieur même de l'Eglise, de ce qui en garantit la communion, que jaillit l'élan allant jusqu'aux confins du monde et surtout jusqu'au coeur de l'homme, de quelque race, de quelque langue, de quelque culture qu'il soit.

Et corrélativement, l'élan missionnaire qui pénètre hommes et cultures n'est pas animé d'un mouvement centrifuge sans être porté en même temps par un mouvement centripète : en faisant connaître le Dieu vivant et vrai, il unit les hommes dans une foi qui, selon des expressions variant avec les temps et les lieux, est la même foi en Jésus-Christ, Fils de Dieu. Il fait plus encore : il les unit dans une conscience commune de leur humanité. Car en la libérant du péché, Jésus-Christ libère l'humanité de l'homme de ce qui la pétrifie. Il la rend vivante et communicable. Elle devient plurielle en accédant à son unique source et origine qui est Dieu. Le problème du pluralisme est ainsi entièrement retourné. Au lieu de conclure indûment du fait de la pluralité au droit du pluralisme, droit qui s'imposerait de l'extérieur à l'Eglise et à la société, on montre que l'homme accède à son humanité, donc à la pluralité, grâce à la mission qui est le coeur même de l'Eglise.

 

 

ON se doute déjà que le modèle démocratique ne lui convient pas, même si là où il existe, il peut être adopté par certains de ses organes. Mais selon notre auteur, l'enjeu véritable est ailleurs. Le voici : a-t-on distingué entre elles l'Eglise et la société civile? La seconde organise la vie en commun de telle manière que chacun de ses membres ne soit pas empêché de poursuivre la fin ultime qui est la sienne. Elle demeure par hypothèse extérieure à cette fin. Si elle l'imposait, elle deviendrait totalitaire.

L'Eglise, elle, est l'organisme vivant de ceux qui ont librement choisi par la foi la même fin ultime et par leur témoignage la proposent à tous comme la seule véritable. D'où une intériorité de chacun à tous et de tous à tous, faute de laquelle l'Eglise se muerait en secte ou en parti totalitaire. Et cette intériorité n'est spirituelle qu'en étant aussi organique : la communion dans la même foi ne va pas sans que, dans chaque Eglise particulière, l'évêque n'en soit le témoin personnel, sans que le successeur de Pierre n'en soit, lui aussi, en vertu de son charisme, le témoin personnel dans l'Eglise universelle. Et réciproquement, une telle intériorité ne serait pas organique si elle n'était spirituelle. Plus la foi est vivante, plus les chrétiens sont unis entre eux, avec leurs évêques et avec le Pape. Le péril, ici, n'est pas la démocratie, mais un affaissement de la foi qui laisserait le champ libre à une bureaucratie de type étatique et à toutes sortes de régionalismes. Là où l'esprit s'affaiblit, l'Eglise produit moins d'anticorps, se laissant alors contaminer par des habitudes de la société civile.

Ces questions discutées depuis le concile, où le P. de Lubac les a-t-il traitées ? Réponse : déjà dans Catholicisme, paru en 1938, dans le Fondement théologique des missions, en 1946 et dans Méditation sur l'Eglise en 1953.

Réponse paradoxale ! C'est que la problématique de notre auteur, même (p.93)

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Georges CHANTRAINE

 


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