Serge PAUGAM ET BERTRAND OUSSET
La grande ville
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n°246
Juillet - Aout
2016 - Page n° 53
La fluidité que les Trente Glorieuses avaient imprimée à notre imaginaire de la ville es passée ; la ville est sujette à une fragmentation complexe qui n’est pas réductible à une simple opposition entre zones urbaines riches ou pauvres. Les études du sociologue et l’expérience de l’aménageur urbain pointent la liberté que permet la vie urbaine, mais aussi le besoin de liens de proximité et de valeurs communes (qui contribuent au sentiment de sécurité). Outre la précarité matérielle, la pauvreté relationnelle, moins visible, est de celles qu’on peut faire reculer ; les communautés chrétiennes urbaines, socialement assez favorisées, sont mises au défi d’être des lieux d’accueil « sans confusion des genres ».
Entretien avec Bertrand Ousset, président de la Société St‑Vincent‑de‑Paul et Serge Paugam, sociologue, mené par Gwenaëlle d’Aboville, mis en forme par Gwenaëlle d’Aboville et Paul‑Victor Desarbres.
Henri Mendras, en sociologue qui s’intéresse au monde rural, a posé un constat de généralisation du mode de vie urbain, et d’uniformisation des modes de représentation1. C’est ce qu’on pourrait nommer le phénomène de la « grande ville ». Cela désigne une échelle de vie et d’organisation différente de ce que représentait la ville. Nous souhaiterions comprendre ce que ce phénomène signifie pour les plus fragiles, et quels types de présence ou d’accompagnement sont possibles par rapport aux enjeux et aux défis de ce phénomène urbain. Quelle présence évangélisatrice l’Église peut‑elle espérer en ville ?
G. d’Aboville – Quel est votre regard sur la « grande ville » aujourd’hui ?
S. Paugam – Dans les imaginaires, la grande ville est le symbole de la fluidité, de la possibilité de passer d’un espace à un autre sans barrière, la possibilité d’être connecté à des groupes sociaux qui résident dans plusieurs territoires que l’on peut franchir aisément. Ce passage est permis par la vitesse des moyens de connexion, les transports en communs ou individuels. C’est ainsi que les premiers sociologues urbains l’ont pensé. Simmel décrit un idéal‑type de ce mode de vie dans la grande ville ou dans l’hyper‑métropole. Quand les sociologues analysent les phénomènes urbains aujourd’hui, ils remettent cette image en question : la fluidité urbaine n’est pas aussi importante qu’on l’imaginait. La réalité nous fait voir la ville sous l’angle de la fragmentation urbaine, le décalage d’un quartier à l’autre, la difficulté de la mixité sociale dans l’espace urbain. On voit le phénomène de concentration de la pauvreté dans des espaces dont on sort difficilement. On peut avoir des connexions de métro, de RER, mais on n’a pas les moyens de sortir de ces enclaves. Il y a beaucoup d’enclaves, beaucoup de quartiers relégués et disqualifiés, par exemple en Île‑de‑France. C’est une première entorse à cette image de la fluidité. [...]
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1 Voir Henri Mendras, de La fin des paysans, Paris, SEDEIS, 1967, à La France que je vois, Paris, Autrement, 2002.
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