La force, pour résister au mal

Général PHILIPPE MORILLON
La force - n°139 Septembre - Octobre 1998 - Page n° 75

Dans quels cas l'usage de la force est-il légitime ? Lorsque la faiblesse ou la lâcheté laisseraient s'imposer un plus grand mal. La réflexion d'un militaire de carrière sur son expérience de la guerre et de l'interposition des Nations unies.

Consacrer un numéro à l’exaltation de la force, vertu cardinale, n’était-ce pas prendre le risque d’être jugé « politiquement incorrect » ? Si j’ai accepté de prêter ma plume à l’exercice, ce n’est pas tant que je regrette le temps où l’on pouvait pourfendre l’infidèle au cri de « Dieu le veut ! » et donner ainsi bonne conscience à des appétits plus ou moins inavouables. Mais c’est que j’ai, tout au long de ma carrière, été conscient de l’impuissance où se trouvent réduits les responsables pusillanimes.

 

J’avais dix ans au sortir de la guerre la plus meurtrière de l’histoire.

Dans ma famille, pourtant très largement imprégnée de traditions militaires, j’ai connu ce refus horrifié de toute nouvelle confrontation et cette fascination concomitante pour toutes les théories mal digérées d’une non-violence en soi parfaitement respectable.

Parce qu’il leur était donné de mesurer les abominables conséquences du culte de la force instauré par les nazis, les adultes, mes parents et éducateurs, et parmi eux les plus chrétiens tout particulièrement, succombaient à la tentation de condamner tout usage de la force et de croire que sa seule détention ne pouvait qu’aboutir au déchaînement de la violence.

Au moment de mes dix-huit ans, l’armée française était engagée dans la fin de la guerre d’Indochine et la nation, bien loin de soutenir l’effort de ses soldats, n’hésitait pas dans son ensemble, et en particulier dans les églises, à le réprouver. Les lecteurs d’aujourd’hui auront du mal à le croire, mais certaines familles ayant alors perdu là-bas des proches eurent leur deuil aggravé par les réactions hostiles de leur entourage et parfois même de leur parenté : ceux qui partaient combattre n’étaient au mieux que des têtes brûlées, au pire des tortionnaires ; s’ils y trouvaient la mort, ce ne pouvait être que justice et bon débarras. [...]

 

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