Apologie de l'argument

La raison traverse la crise de l'absence des fondements. Il ne lui reste plus qu'à rechercher le consensus par l'argumentation. Le christianisme est alors une chance pour la raison: en proclamant une vérité exclue du consensus (le Christ), il enrichit le débat et lui interdit de s'emballer dans une autonomie totalisante.

La raison — pourquoi en faire l'objet d'une interrogation, et non pas, comme il semblerait convenir, le roc inébranlable d'où interroger le reste ? Quelle raison nous porte à raisonner sur la raison, au lieu de laisser la raison raisonner elle-même à partir d'elle-même ? Bien plus, pourquoi s'interroger sur la raison à partir d'un point de vue théologique, comme si la distinction des domaines — une distinction d'abord interne à la théologie chrétienne, avant de passer à la « laïcité » — n'allait plus de soi ? Dans cette indiscrète sollicitude pour la raison, ne faut-il pas craindre une visée hégémonique d'un « intégrisme » menaçant le « pluralisme » ? Comment d'ailleurs comprendre que les chrétiens, plus que d'autres instruits de l'oppression totalitaire, parce qu'ils l'ont plus que d'autres constamment subie, se voient retourner cette crainte en accusation, plus souvent qu'il paraîtrait raisonnable et rationnel ?

I

La réponse, à supposer qu'elle soit accessible, exige un indispensable, mais élémentaire (voire simplificateur) détour par la philosophie. En effet, nous vivons, depuis un siècle au moins, que nous le voulions ou non, dans la situation que Nietzsche a diagnostiquée comme celle du nihilisme. Le nihilisme se définit par un événement : les plus hautes valeurs se dévalorisent. Et la réaction spontanée, qui consisterait à défendre ces hautes valeurs d'autant plus vigoureusement qu'elles s'affaiblissent, renforce d'autant plus le nihilisme, puisqu'elle prouve ainsi que ces mêmes valeurs ne sont que des valeurs, sans autre valeur que la puissance d'affirmation qui les soutient de l'extérieur, donc les dévoile comme intrinsèquement dépendantes [...] 

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