Quand les analysants parlent de Dieu

Les personnes croyantes qui viennent en analyse y parlent inévitablement de leur foi en Dieu et on perçoit aisément dans quel contexte psychique elle a pris sens. La foi au Dieu souffrant semble être celle qui apporte le plus de bénéfices psychiques dans la mesure où elle ne refoule pas les autres conceptions qui viennent inévitablement à l'esprit dans certaines circonstances, et pourvu aussi qu'elle ne conduise pas au dolorisme. C'est ce qui ressort en tout cas de l'itinéraire de deux jeunes femmes venues en analyse pour clarifier d'autres problèmes.

Même s’il faisait profession d’incroyance et se montrait généralement critique à l’égard de la religion, Freud a toujours témoigné un grand respect pour la foi de ses analysants, la correspondance qu’il a échangée durant de longues années avec son ami le pasteur Pfister en offre de nombreux témoignages. La plupart des psychanalystes ont d’ailleurs opté pour une attitude analogue. Cela ne signifie pas qu’ils laissent en dehors de l’analyse les propos que tiennent leurs patients quand ils évoquent leur croyance, ou bien qu’ils renoncent à en signaler les bénéfices ou les inconvénients. Mais ils cherchent surtout à repérer ce qui pourrait les empêcher de vivre leur foi pleinement, et ils se comportent avec les patients croyants comme ils le font quand un artiste ou un auteur se trouve en difficulté dans son itinéraire créateur. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la foi en un Dieu souffrant, qui est centrale dans la tradition chrétienne. J’ai été frappé dans mon expérience clinique par le paradoxe suivant : qu’ils adhèrent à cette croyance, ou croient au contraire à un Dieu impassible, même s’il est éventuellement compatissant, les fidèles ne parviennent pas à en tirer vraiment bénéfice tant qu’ils n’ont pas mis à jour la conception inverse, que souvent ils refoulent ou dénient, et qui est d’autant plus agissante dans leur inconscient. [...]