Images médiévales de l'affliction

Avant les expressives représentations gothiques de l'affliction, l'époque romane figure les béatitudes comme des étapes de la vie spirituelle, morales ou mystiques. Cependant, l'énigmatique Vierge de Tavant, s'affligeant non devant la croix, mais devant les hommes, témoigne d'un pathétique roman, alors qu'avec l'allégorie de la Tristesse à Saint-Marc de Venise, l'affliction apparaît pleinement comme béatitude, qui irradie du Dieu tout-puissant.

Le Moyen-Âge occidental a attendu l'époque gothique pour exprimer avec précision l'éventail des sentiments psychologiques et des motions spirituelles, et l'on puiserait là avec abondance les signes diversifiés de l'affliction. L'attrait d'un certain pathétique y rencontre l'expérience esthétique d'artistes capables de traduire le don des larmes, comme d'ailleurs aussi celui du sourire. Jusque là le goût des systèmes décoratifs, apporté aux artistes mérovingiens par les différentes vagues d'invasions barbares, s'était substitué à la tradition humaniste.

Certes le sursaut carolingien avait permis aux peintres de renouer pendant un temps avec la plastique antique. Mais les formes nouvelles qu'affirme l'esprit roman se reprennent à effacer l'espace et le temps, l'unité corporelle, la diversification physionomique et la vraisemblance narrative. Comment, dans cette esthétique commandée par la géométrie et l'abstraction, dans cette mystique que le Dieu de l'eschatologie fascine plus que tout, comment se disent l'effusion de la grâce ou l'expansion du péché en l'homme ? Y a-t-il encore place pour l'expression de l'affliction et de la béatitude en ces figures dévorées par la contemplation et unifiées par l'indistinction ornementale ?

À l'époque romane, l'affliction est avant tout suscitée par le moment de la crucifixion. De part et d'autre de la croix, le soleil et la lune se voilent, Jean et Marie s'inclinent. Si les imagiers romans n'ont pas cherché à courber le corps du Christ sous la douleur et lui ont gardé le regard serein de celui que la mort n'a pas vaincu, ils ont su dans le même temps traduire la souffrance muette des témoins de sa mort. [...]

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