Pierre-philippe DRUET
Bienheureux les affligés
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n°96
Juillet - Aout
1991 - Page n° 106
Au contraire du déni contemporain de la mort, l'expérience montre qu'un homme devient lui-même en passant par une série de deuils partiels vécus comme autant d'étapes nécessaires pour bien vivre le deuil de la mort.
Il nous faut faire des deuils multiples, à tous les âges de la vie, par rapport à des personnes, à des objets, à des projets, à des illusions, à des aspects de nous-mêmes, etc. La liste s'annonce interminable ; c'est ce qui fait le caractère quasi «englobant» du deuil, que j'évoquais en introduction.
Parler du deuil présente des difficultés remarquables. Comme tout ce qui touche à la vie et à la mort, un tel sujet met en question celui qui l'aborde, au plan le plus radical. De plus, le travail du deuil tient de si près à l'essence même de notre condition, qu'il est malaisé de prendre, par rapport à lui, le recul de la réflexion, la distance de l'objectivité. A la fois, le deuil est en nous et nous sommes dans le deuil. Il nous étreint et relève de ces dimensions de l'existence on transparaît ce qui nous dépasse infiniment. Vain, par conséquent, le projet de faire le tour du deuil, de le cerner. Cela supposerait de remonter à ce qu'on appelle « le problème du mal » et de considérer que le philosophe dispose des moyens de percer à jour ce prétendu problème. Je ne partage ni cette vision des choses, ni cette prétention. Je tenterai donc une exploration méditative de certains aspects du deuil. Mon but serait atteint si le lecteur trouvait ici quelques éléments lui permettant de faire ou de faire mieux son deuil.
Pour comprendre le deuil, partons de l'expression — si juste et si belle — « faire son deuil de ». On y saisit directement la dimension active et relationnelle. Le deuil constitue le travail psychique nécessaire pour dire adieu à ce qui est, ou va être, perdu. En ternies plus proches de la psychologie, il consiste à dénouer les liens qui nous unissaient à l'objet perdu ; ou encore : à retirer nos investissements affectifs de l'objet dont il s'agit. Cette définition apparemment limpide demande à être expliquée. Notons d'abord que le deuil ne concerne en aucun cas le seul décès, même si celui-ci impose le deuil le plus cruel. [...]
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